La légende des trois chardonnets des armes de Lorraine [Nancy (Meurthe-et-Moselle)]

Publié le 21 novembre 2024 Thématiques: Blason , Hiver , Noblesse , Oiseau , Origine , Peintre , Peinture , Plante , Roi | Empereur ,

Blason de la Lorraine
Blason de la Lorraine. Source CC BY-SA 3.0 <http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/>, via Wikimedia Commons
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Source: Pitz, Louis / Contes et légendes de Lorraine (1966) (4 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Cathédrale de Nancy / Nancy / Meurthe-et-Moselle / France

Les armes de Lorraine sont constituées d’un écusson jaune, coupé en diagonale par une bande rouge, sur laquelle sont représentés trois oisillons, les ailes étendues, sans bec ni pattes. C’est ainsi que l’on traduit le langage héraldique : « écusson d’or à la bande de gueules chargées de trois alérions d’argent ».

Le blason de la ville de Nancy est coupé horizontalement dans son milieu. Dans la partie supérieure, figurent les armes de Lorraine. Dans la partie inférieure, couleur d’argent, s’épanouit un gros chardon « aux feuilles piquantes et à la fleur purpurine ». Le tout porte cette devise altière : « Nec inultus premor », c’est-à-dire, en traduction très libre : « Qui s’y frotte, s’y pique. »

Primitivement, les trois alérions ne figuraient pas sur la bande rouge.

Voici en quelle circonstance légendaire, ces trois oiseaux prirent place sur le blason de notre province :

Stanislas, le bon duc, s’employait activement depuis son arrivée en Lorraine à l’embellissement de sa chère ville de Nancy. Déjà, les grilles d’or de Jean Lamour, les fontaines de Vénus et de Neptune ornaient la Place Royale, ainsi appelée en l’honneur de Louis XV. Déjà, les portes monumentales de la cité étaient achevées. Car Stanislas, pour se consoler des malheurs de sa Pologne, avait décidé de faire de Nancy une ville superbe, digne de lui.

Mais il s’aperçut un jour que l’écusson de Nancy ne figurait pas sur la cathédrale. Il résolut de combler immédiatement cette lacune et de faire appel au talent du plus habile peintre lorrain.

Le chef-d’œuvre était presque terminé. Le chardon se détachait nettement, vert tendre sur fond blanc, et de loin on aurait pu le croire réel, tant il était reproduit avec art. Il ne restait plus qu’une dernière couche de peinture à donner pour parachever l’ouvrage, et, comme Stanislas était très méticuleux, il surveillait lui-même l’exécution de ce travail.

Or, on était en hiver et le peintre devait souvent interrompre sa besogne, car le froid rendait ses doigts gourds. Il descendait alors de son échelle et le duc s’entretenait familièrement avec lui, commentant l’œuvre, au milieu d’une foule de curieux et de badauds.

Cependant, un rouge-gorge vint à voleter dans ces parages. À dire vrai, il habitait le quartier de la cathédrale, où sa gentillesse avait charmé les habitants, qui le nourrissaient de graines diverses ou de miettes de pain. Chacun sait que l’oiseau au cœur orangé est non seulement peu farouche, mais très curieux de nature.

Attiré par les belles couleurs fraîches, Jean Rouge-Gorge battit vivement des ailes autour du bel écusson, poussant de petits cris d’étonnement joyeux : c’était sa façon à lui d’exprimer sa satisfaction. En artiste, il admira beaucoup le superbe chardon ; mais comme il n’avait pas faim, il jugea inutile d’aller voir de plus près s’il n’y avait pas quelque graine à becqueter. Aussi, sa curiosité satisfaite, Jean Rouge-Gorge s’éloigna-t-il, songeant qu’une petite promenade circulaire au-dessus de la ville réchaufferait ses membres engourdis et qu’il y découvrirait peut-être des choses encore plus merveilleuses à admirer.

Or, tandis qu’il voletait au-dessus des terrains vagues, à l’endroit où se trouve aujourd’hui la Pépinière, il aperçut, grelottant sous la branche enneigée d’un buisson, trois chardonnerets. Les pauvres bestioles agitaient désespérément leurs ailes ébouriffées et leurs petits cris plaintifs disaient assez combien ils avaient faim et froid.

Jean Rouge-Gorge eut pitié de leur détresse. Il s’approcha d’eux. Car il ne faut pas oublier que le rouge-gorge a la réputation d’être charitable ; il aime la compagnie des malheureux, auxquels il apporte par son chant un peu de réconfort.
— Mes pauvres amis, dit-il aux trois chardonnerets, que faites-vous donc ici ?
— Nous avons faim, répondit le plus hardi des trois. Nous n’avons pas mangé depuis deux jours.
— Ce n’est pas ici que vous trouverez quelque chose à vous mettre dans le bec ! D’où venez-vous donc ? Vous paraissez à bout de forces.
— Nous venons de la forêt de Haye, près de Toul.
— Nous avons parcouru en vain toute la campagne. Pas la plus petite graine à avaler. La neige a tout recouvert.
— Il ne faut pas désespérer, mes bons amis, reprit Jean Rouge-Gorge. Pourquoi ne faites-vous pas comme les pinsons et les moineaux, qui se rapprochent des habitations des hommes pendant la mauvaise saison ? On ne vous refusera pas quelques graines que vous partagerez avec les volailles. Allons ! Du courage ! Vous reverrez bientôt le printemps.
— Mais tu sais bien, Rouge-Gorge, que nous ne mangeons que des graines sauvages. Nous n’avons pas découvert un seul chardon dans les champs.
— Oh ! je connais un superbe chardon, moi, s’écria aussitôt Jean Rouge-Gorge. Il a poussé, je ne sais comment, contre le mur de la cathédrale, juste au-dessus de l’horloge ! Allez, vite, mes bons amis ! Vous trouverez là de quoi faire un souper royal.

Puis, content d’avoir rendu un service, il s’envola pour rejoindre son nid.

Alors, les trois chardonnerets, avec l’espoir, retrouvèrent aussitôt leurs forces. Leurs petites ailes engourdies battirent avec vivacité l’air glacial, et, remplies de confiance, les trois bestioles prirent leur envol en direction de la cathédrale, dont elles apercevaient de loin les deux clochers.

Soudain, leurs petits cœurs bondirent très fort, car à l’endroit que leur avait désigné le rouge-gorge, ils aperçurent le superbe chardon.

Fous de joie, ils se précipitèrent. Mais, comme ils s’étaient un peu trop pressés et qu’ils avaient mal calculé leur élan, ils vinrent se heurter brutalement contre la bande rouge de l’écusson, encore toute fraîche.

Hélas ! Leurs plumes délicates s’engluèrent dans la peinture, et les trois pauvres bestioles, n’ayant plus assez de force pour se dégager, restèrent collées contre l’écusson.

Sur le parvis de la cathédrale, le bon duc Stanislas assistait, surpris et émerveillé, à l’événement. Il donna aussitôt à son peintre l’ordre d’aller détacher les trois oiseaux prisonniers et décida que, pour garder le souvenir de cet étrange incident, les trois oiseaux seraient désormais représentés sur le blason de Lorraine.

Enfin, c’est grâce à cet événement que le chardonneret est devenu l’oiseau national de la Lorraine.


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