La légende de la chapelle de la Gueule-le-Loup  [Malzéville (Meurthe-et-Moselle)]

Publié le 1 décembre 2024 Thématiques: Animal , Attaque , Chapelle , Foret , Jeune fille , Loup , Noblesse , Origine , Origine d'un lieu , Origine d'un nom , Protection ,

La chapelle de la Gueule du Loup (Gueule-le-loup)
La chapelle de la Gueule du Loup (Gueule-le-loup). Source Google Street Map
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Source: Pitz, Louis / Contes et légendes de Lorraine (1966) (4 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Chapelle de la Gueule du Loup / Malzéville / Meurthe-et-Moselle / France

Il était une fois une gentille princesse, nommée Jeanne de Vaudémont. Elle habitait à Nancy, au palais ducal, chez son oncle, le bon duc René.

Jeanne avait seize ans. Elle était très jolie et très aimable, insouciante et gaie. Comme ses ancêtres, les vaillants comtes de Vaudémont, lle n’avait peur de rien et son humeur intrépide donnait bien du souci à la fidèle gouvernante chargée de son éducation. Au palais, tout le monde l’aimait, des valets jusqu’aux hommes d’armes, pour sa fantaisie et sa grâce.

Un matin de mai, Jeanne, trompant la surveillance de ses dames de compagnie, s’échappa discrètement du palais ducal. Personne ne la vit sortir. Elle traversa, sans être reconnue, les rues de la bonne ville de Nancy, et s’en fut du côté de Malzéville. Son intention était de profiter d’une belle matinée de printemps pour cueillir du muguet et respirer l’air embaumé de toutes les senteurs de la forêt rajeunie.

Jeanne était joyeuse, enfin libre de courir à sa guise, sans être surveillée par sa gouvernante et chaperonnée par quelque dame de la cour, revêche et bougonne. Car la vie d’une jeune princesse, en dépit des apparences, est rarement tout à fait heureuse.

Jeanne sortit de la ville. Elle marchait allègrement à travers les vergers en fleurs et, chemin faisant, elle chantonnait cette vieille ritournelle lorraine :
« Ç’ost lo mai
O mi mai !
Ç’ost lo joli mwè de mai. »

Les paysans, occupés à leurs travaux printaniers, la regardaient passer, admirant, sans savoir qui elle était, sa grâce et sa fraîcheur.

Une vieille femme qui transportait une hottée de fumier, l’interpella :
— Où courez-vous donc, la belle ?
— Je cours au bois, répondit Jeanne.
— Qu’allez-vous faire au bois ?
— Je vais cueillir du muguet.
— Prenez garde, fillette, continua la femme. Au bois, on rencontre le loup !…
— Je ne le crains pas, le méchant loup, dit-elle, rieuse, et elle poursuivit sa promenade.

Enfin, Jeanne de Vaudémont entra dans la forêt.

C’était merveilleux. Les grands chênes et les hêtres agitaient doucement leur délicate frondaison vert tendre, comme pour saluer l’arrivée de la jeune fille. Les oiseaux dans les branches semblaient exécuter, de leurs chants joyeux, comme un délicieux concert d’accueil, où les trilles du merle répondaient au frais gazouillis du pinson et du chardonneret. Même le coucou, dont les appels assourdis se répétaient en écho plaintif, participait harmonieusement à la symphonie.

À terre, quel extraordinaire tapis ! À travers la mousse et l’herbe tendre, d’innombrables clochettes blanches inclinaient, muettes de respect, leurs corolles de soie aux pieds de la princesse, tandis que leur parfum capiteux remplissait l’air d’effluves embaumés.

Ravie, émerveillée, Jeanne se livrait tout entière à son plaisir. Elle cueillait avec une joie fébrile, ivre de bonheur et de liberté.

Mais Jeanne ne prenait pas garde qu’elle s’enfonçait toujours plus loin au cœur de l’épaisse forêt. Tout était si beau autour d’elle qu’elle ne pensait plus ni à l’heure du retour, ni au chemin qu’elle suivait. Elle se trouva bientôt au milieu de taillis inextricables, serrant contre son cœur son gros bouquet parfumé.

Soudain, la princesse tressaillit. Une étrange silhouette s’agitait derrière un arbre, et bientôt apparaissait à quelques pas d’elle un homme, qui la dévisageait avec un regard inquiétant.

C’était le sire Armand de Dieulouard, un seigneur félon, un brigand, que le duc René avait banni de ses terres pour le punir de ses innombrables forfaits. Et l’homme se cachait dans les bois, à la recherche d’un acte de vengeance contre son suzerain.

Reconnaissant le méchant seigneur, Jeanne de Vaudémont poussa un cri de terreur.

Mais déjà, le scélérat, qui avait, lui aussi, reconnu la jeune fille, s’avançait vers elle :
— Qu’est ceci ? dit-il, avec un affreux ricanement. La propre nièce de notre duc de Lorraine, toute seule dans cette forêt !… Quelle imprudence !… Ha ! Ha !… poursuivit-il du même ton mauvais. Belle demoiselle, vous êtes à moi, maintenant ! Et je ne vous lâcherai que quand votre oncle m’aura payé une forte rançon et quand il m’aura rendu tous mes biens…

Atterrée, la petite princesse n’attendit pas la fin de ce sinistre discours. Elle jeta son précieux bouquet de muguet, et s’enfuit à toutes jambes à travers les taillis. Armand de Dieulouard se lança aussitôt à sa poursuite.

Hélas !… La malheureuse enfant ne pouvait courir bien vite… Ses fines chevilles se blessaient contre les souches et les pierres. Ses vêtements s’accrochaient aux ronces.
— Saint Nicolas ! À l’aide !… Sainte Vierge ! Au secours !… criait-elle dans son désespoir.

Encore quelques pas, et elle allait être rejointe. Déjà, le brigand levait le bras pour la saisir…

Mais au même instant, un loup gigantesque surgit d’un fourré en face de Jeanne. La gueule béante, les crocs luisants, le poil hérissé, il était prêt à bondir.

Jeanne se crut perdue, prise entre le fauve et le brigand. Dans son affolement, elle trouva la force de s’écrier :
— Loup ! Ô loup, mon ami !… Protège-moi ! Défends-moi ! Écarte ce méchant homme !…

Alors, ô merveille !… On eût dit que le loup avait compris cette prière : il laissa passer la jeune fille, sans lui faire aucun mal.

Mais de ses yeux où brillait une flamme de colère, il fixa l’homme. Celui-ci, interdit, eut une seconde d’hésitation. Aussitôt, tous poils dressés, l’animal se précipita. Il saisit le bandit à la gorge, sans lui laisser le temps de prendre son épée. Une courte lutte opposa le méchant seigneur et le loup. Le fauve eut rapidement le dessus. Il terrassa son adversaire, le laissant mort sur le terrain.

Puis, satisfait de sa victoire, content de sa bonne action, le loup vint auprès de la jeune fille. Il se frotta longuement contre ses jupes, comme le ferait un gros matou flatteur.

Jeanne de Vaudémont, éperdue de reconnaissance, prit la grosse bête par le cou, passa ses doigts fins à travers la toison rugueuse, et déposa sur le front de l’animal un chaleureux baiser.

Enfin, confiante et rassérénée, la jeune imprudente reprit le chemin du palais ducal.

À l’endroit où Jeanne de Vaudémont avait été sauvée, grâce à l’intervention providentielle d’un loup, son oncle, le duc René, fit édifier un petit oratoire, qui prit le nom de chapelle de « La Gueule-le-Loup ».


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