Ce que je vais vous raconter, mes jeunes enfants, tient le milieu entre la légende et l'histoire. Nul ne pourra vous dire cela est, ou cela n'est pas arrivé; seulement, comme c'est très-possible et que ce n'est, au bout du compte, qu'une de ces mille ruses si souvent employées dans les guerres, pour ma part, j'y crois.
Dans le nord du Luxembourg, il y avait autrefois un château fort qui défendait une ville capitale de l'ancien comté de la Roche. Le comté n'existe plus; la ville est un village, et le château, une ruine comme tous nos vieux châteaux, du reste; triste et désolant spectacle, rappelant à nos souvenirs les batailles successives qui se sont livrées sur nos montagnes et dans nos vallons. Or, en 1088, le comte de la Roche avait refusé de souscrire à un traité dans lequel il était stipulé que les évêques de Liège auraient à perpétuité le droit de juger leurs diocésains. L'évêque de Liège rassembla ses troupes et battit le comte qui vint en toute hâte se réfugier dans son château, décidé à vendre chèrement sa vie. La position de la forteresse en rendait la prise difficile; aussi, pendant sept mois, l'ennemi fit-il des efforts incroyables pour y pénétrer. A la fin, le comte de la Roche, voyant que la famine allait réduire ses troupes, eut recours à un singulier expédient.
Il fit manger par la dernière truie de la basse-cour la dernière mesure de froment du grenier, puis il chassa la pauvre bête dans le camp des assiégeants. Ceux-ci tuèrent la truie, et la trouvant pleine de froment, pensèrent que les assiégés devaient être amplement fournis de vivres, puisqu'ils laissaient des truies manger un grain précieux; aussi, désespérant de prendre le château ou de réduire sa garnison, ils levèrent le siège, laissant le comte de la Roche s'applaudir du succès de sa ruse.