La légende de la Dame Rouge de Pérolles [Fribourg (La Sarine / Switzerland)]

Publié le 20 février 2025 Thématiques: Apparition , Brigand , Château , Dame rouge , Fantôme , Meurtre , Minuit , Revenant ,

Château de Pérolles
Château de Pérolles. Source Bobo11, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons
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Source: Genoud, J. / Légendes fribourgeoises (1892) (3 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Château de Perolles / Fribourg / La Sarine / Suisse

Ami lecteur, si ton cœur est sensible, ne lis pas ce chapitre. Trop lugubre et trop tragique, il troublera ton imagination, il chassera le sommeil loin de tes paupières ou bien les nuits les plus sombres ne seront plus pour toi qu'un long cauchemar. Cette légende n'est donc dédiée qu'aux âmes fortes que rien n'émeut, aux natures vaillantes que rien ne peut épouvanter.

Rappelons d'abord une néfaste journée. C'était en 1127, à la veille des fêtes de Pâques. Guillaume IV de Haute-Bourgogne priait dans l'église de l'Abbaye de Payerne. Plusieurs seigneurs l'entouraient. Soudain un tumulte s'élève dans l'enceinte sacrée. De lâches conjurés se précipitent sur le jeune comte et l'assassinent. En vain ses amis se dévouent pour le défendre ou le venger : tous succombent sous les coups des brigands. Parmi les victimes, on reconnaît Pierre et Philippe, sires de Glâne, deux braves héritiers de la valeur de leurs ancêtres comme de la noblesse de leur race.

A la vue des corps inanimés de ses maîtres, un valet forme un infâme projet et l'exécute aussitôt. S'éloignant à la hâte de cette scène de carnage, il accourt vers Fribourg et arrive bientôt au château de Perraules, propriété de la famille de Glâne. La plus vive cupidité excite son audace; il ne reculera devant aucun crime, car il veut promptement s'enrichir. Il pénètre donc dans les somptueux appartements, il se présente à la dame encore ignorante de la mort de son époux, il s'en approche sous un prétexte quelconque, mais tout à coup le fer brille, le poignard est levé et la châtelaine tombe baignée dans son sang. Si rapidement s'accomplit le drame qu'elle ne poussa pas même un cri: nul ne l'entendit appeler au secours, nul ne recueillit son dernier soupir.

Que devint le meurtrier ? nous l'ignorons.

Ce que la tradition rapporte, c'est que le castel fut hanté depuis lors par une étrange apparition. Nombreux sont les témoins, car pour voir et entendre il suffisait d'être né sous une favorable constellation. Ecoutons leur récit. Douze fois par année, chaque soir des Quatre-Temps, une terrible scène se renouvelle. Dès que la cloche a cessé d'inviter les fidèles à invoquer Marie et à prier pour les trépassés, l'affreux spectacle commence, puis il dure jusqu'à l'heure mystérieuse de minuit. Pendant ce temps qui leur paraît long comme un siècle, les habitants du château aperçoivent une dame rouge, fantôme menaçant échappé pour un moment des demeures ténébreuses de l'autre monde. Elle se montre d'abord dans la chambre à fenêtres grillées, ancien oratoire, là même où fut consommé le forfait. Sous son costume écarlate, elle est agitée convulsivement par une force invisible. Puis on la voit à la croisée d'où elle promène sur les environs des yeux étincelants de feu, des yeux hagards qui annoncent vengeance et malédiction. En même temps, des cris d'une vigueur surhumaine s'échappent de sa poitrine, sont répétés par les échos lointains et retentissent dans la nuit noire comme le cri du hibou troublant le silence de la forêt. Jamais homme n'a vu cette ombre horrible et n'a écouté ces gémissements déchirants sans être bouleversé dans tout son être.

Enfin minuit approche. Au premier coup de l'horloge, les portes s'ouvrent d'elles mêmes, le spectre descend lentement les escaliers, il pousse des soupirs plus douloureux, des lamentations plus désespérantes, il traîne de lourdes chaînes dont le bruit se répercute d'une façon sinistre dans toute la maison. Ah! examinez mieux, si vous l'osez ! Voyez-vous cette poitrine nue, ce poignard. qui la transperce, ce sang qui coule? Oui, des flots de sang s'échappent de cette plaie hideuse et marque le chemin que poursuit chaque fois la malheureuse revenante. Elle s'avance jusque sous la voûte de la chapelle gothique, elle s'approche du caveau sépulcral et s'évanouit enfin dans la poussière du tombeau en jetant autour d'elle un dernier regard et un dernier cri. Au même instant, l'horloge frappe le douzième coup de minuit.

Pour rassurer nos contemporains, ajoutons que ce phénomène ne se réalise plus avec la même régularité qu'autrefois. Le meurtrier a-t-il achevé d'expier son forfait ? Les survivants ont-ils assez prié pour le salut de l'infortunée châtelaine ? Les indulgences accordées par Martin V à son passage à Fribourg ont-elles calmé les mânes des victimes? C'est possible.. D'autres prétendent sans doute des esprits forts que le voisinage de la gare bruyante, le roulement des lourds wagons, les appels stridents du sifflet des locomotives, les progrès de l'incrédulité dans la cité universitaire, l'insouciance des voyageurs trop distraits par les choses présentes pour vouloir encore s'intéresser aux choses passées, tous ces motifs seraient bien suffisants pour engager les morts à ne plus sortir de leurs tombeaux.


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