Le port de Ripaille, creusé à côté du parc et du manoir, était défendu par une grosse tour aujourd’hui découronnée. Un noyer a poussé dans l’enceinte même de cette tour, et elle porte le nom de Tour du Noyer, ou du Noyé, indifféremment. Il s’y rattache une curieuse légende.
C’était par une sombre nuit. Un voyageur portant une lourde cassette se rendait à Ripaille. Mais le batelier à qui il s’était adressé pour traverser le lac fait chavirer l’embarcation près du rivage, noie son passager, prend la cassette, puis vient passer la nuit dans cette grosse tour. Tandis qu’il dort de ce sommeil agité qui suit une mauvaise action, le voyageur, qui n’était autre que Satan lui-même, vient s’accroupir sur l’estomac du meurtrier et le foule de ses pieds fourchus.
Puis le prince des ténèbres tient ce langage au coupable batelier : « Tu ne profiteras pas de ton crime; changé en noyer, tu seras noyé comme moi. Cette valise est pleine de diamants; pour ton supplice, chaque année à pareille nuit, les fruits que tu porteras se transformeront pendant une heure en brillants. Alors ton âme maudite, que je laisserai sortir des enfers, se glissera dans la sève de l’arbre et en agitera les feuilles qui frissonneront. Puis je reviendrai, cueillant moi-même les diamants, je ne te laisserai que des noix vulgaires. Si, durant ma récolte, quelque mortel est assez hardi pour me vendre son âme, il aura les diamants et deviendra le plus riche des princes de la terre. »
Le lendemain, en pénétrant dans la tour, on y aurait vu un arbuste dont toutes les feuilles pleuraient; des gouttelettes rouges tombaient une à une et venaient l’arroser; c’étaient les larmes de sang du condamné dont s’accomplissait la transformation.
Ainsi le trésor du Noyé n’est plus dans la terre; mais pour le recueillir où il est, il faut non seulement affronter le diable, mais encore deviner le fatal anniversaire et en saisir l’heure fugitive. Aussi jusqu’à présent on a abattu que des noix.