Chavanod est une petite commune située sur les bords du Fier, dans l’ancienne province du Genevois ; elle est traversée par la route d’Annecy à Rumilly. Il fut un temps déjà où, comme dans les années qui suivirent l’annexion, la fièvre de reconstruction des églises s’était emparée de toutes les populations. Les habitants de Chavanod, ne voulant pas rester en arrière de leurs voisins, décidèrent de reconstruire la maison de « celui qui emmanche les cerises, » selon une pittoresque expression locale. A cet effet, ils firent dresser le plan par le plus habile architecte d’Annecy el mirent les travaux en adjudication.
Le plan avait tout prévu, en ce qui concernait la nef et le clocher, pour répondre au plus pressé, mais l’architecte avait ajourné la partie de son travail concernant le portail de l’église. Les ouvriers se mirent donc à l’oeuvre et les murs s’élevaient comme par enchantement.
Mais ne voilà-t-il pas qu’un beau matin le portail se trouva construit aux trois quarts, au grand étonnement des habitants et surtout de l’architecte et de l’entrepreneur, lesquels affirmaient n’y être pour rien !
Grande rumeur dans le village ; on se perd en conjectures sur l’ouvrier mystérieux qui a pu en si peu d’heures faire un semblable travail. Les malins de l’endroit sont obligés de reconnaître qu’il y a là dedans quelque chose de surnaturel.
On organise bonne garde, toutes les précautions sont prises pour surprendre les sylphes qui comblent de leur propre mouvement les lacunes du plan de l’architecte. Du sable fin est répandu sur tout le terrain environnant, dans la pensée qu’un sylphe même y laisserait l’empreinte de ses pas ou du froufrou de ses ailes.
Qui fut attrapé le lendemain matin ? Ce furent les trop curieux habitants de Chavanod : la couche de sable était intacte; on n’aurait pu y constater les traces du passage d’une fourmi. Mais ils entendirent dans le lointain une voix étrange qui les fit repentir de leur indiscrétion ; elle disait avec un ricanement sinistre:
Chavanô! Chavanâ! Te n’saré jamai cham’nâ!
Traduction : Chavano, Chavana, tu ne seras jamais achevé.