En ce temps-là, un homme méchant, appelé B..., était maire de la petite commune de Servigney. Il avait pris en haine, on ne sait pourquoi, le vieux curé de la paroisse, dont le presbytère n'était séparé de sa maison que par l'église et le cimetière.
Un jour que des soldats ennemis occupaient ce village, B..., en leur présence, eut une altercation avec le curé. Il eut l'audace de lever la main sur le prêtre et de le jeter à la renverse dans l'égout de la rue.
Les soldats voulaient tuer le maire, tant celui-ci les avait indignés par ce fait qu'ils qualifiaient de « Crime abominable ». Mais s'étant relevé tout sanglant et tout couvert de boue, le bon curé les supplia, en pleurant, de faire grâce à son agresseur. Les soldats furent touchés par cette prière, ou plutôt par ce trait de charité sublime, et les jours du maire furent épargnés.
Toutefois ce dernier dut passer enjugement.
Le curé sollicita encore en sa faveur l'indulgence des juges et B... en fut quitte pour une légère amende.
Peu de temps après, le pauvre vieux curé mourut de chagrin. Il avait demandé, en faisant un legs à la fabrique et un autre aux pauvres de la paroisse, l'honneur d'être enterré dans la nef de son église. Le maire refusa cette grâce au pasteur défunt, qui fut inhumė tristement à la porte de l'église, non loin de la maison de son irréconciliable ennemi. Celui-ci disait, tandis qu'on creusait la fosse du vieux curé : J'aurai au moins le plaisir de cracher sur sa tombe tous les dimanches, quand j'irai à la messe ! »
A quelque temps de là, un incendie dont la cause est restée inconnue et inexplicable, dévora la maison de B..., ainsi que le clocher et une partie de l'église.
Les bonnes femmes du village allaient disant que ce sinistre était un châtiment du ciel et que ce n'était certainement pas une main humaine qui avait pu allumer le fléau vengeur.
Une vieille voisine affirma même avoir vu le soir, quelques instants avant le feu, le spectre du vieux curé sortir de sa tombe et errer sur le cimetière, allant de la porte de l'église au seuil de la maison du maire et élevant les bras au ciel, comme on le fait d'ordinaire quand on implore sa miséricorde.