La légende de manoir de Côtebrune [Côtebrune (Doubs)]

Publié le 19 décembre 2023 Thématiques: Amour , Château , Diable , Enlèvement , Faire la cour , Marais , Mariage , Ménestrel , Mort , Noblesse ,

Donjon de Côtebrune
JGS25, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons
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Source: Thuriet Charles / Traditions populaires du Doubs (1891) (3 minutes)
Lieu: Donjon de Côtebrune / Côtebrune / Doubs / France

Côte-Brune, petit village du canton de Baume, sur la route de Besançon à Maîche, entre Aïssey et Bouclans, n'est remarquable que par sa position élevée et pittoresque, à l'entrée du val de la Grace-Dieu. On distingue de loin, sur la colline où est bâti le village, les restes d'un château entouré de fossés ; on y voit encore une vieille tour avec des fenêtres en ogives et des vestiges de murs d'une grande épaisseur.

Nos savants archéologues pensent, et il faut les en croire, que le manoir de Côte-Brune a dû être construit du XIe au XII° siècle. Quoi qu'il en soit de cette date peu certaine, ce château a donné son nom à une famille noble et puissante. On sait que Jean, sire de Côte-Brune, fut chambellan du roi de France et des ducs Jean et Philippe de Bourgogne, qu'il fut élevé, en 1418, à la dignité de maréchal de Bourgogne, et qu'il mourut en 1422, C'est à peu près tout ce que l'on sait de positif sur la noble famille de Côte-Brune; mais il est, à côté de l'histoire, des récits populaires qui ne sont point à dédaigner; parce qu'ils la complètent et qu'ils mêlent à l'aridité de ses enseignements quelques parfums de poésie naïve et quelques souvenirs des mœurs et des croyances d'autrefois. Telle est la légende qu'on va lire et qui a été chantée par un de nos poètes, M. Louis Mercier.

« Au temps où les trouvères allaient chantant leurs cantilènes aux belles dames des châteaux, un jeune homme, vêtu d'un manteau noir, vint un jour frapper à l'huis du manoir de Côte-Brune. C'était un beau ménestrel, à l'œil sombre, au teint pâle, dont la voix ravissante charmait l'oreille et quelquefois troublait le cœur par son extrême suavité. On ne connaissait pas cet étranger, mais on avait tant de plaisir à l'ouïr chanter, que malgré je ne sais quoi d'un peu louche dans son regard, nul n'aurait ose mettre en doute sa loyauté. Eve de Côte-Brune, la gentille châtelaine, sentit, aux accents du ménestrel, une langueur indéfinissable se glisser dans son cœur virginal.

Elle était fiancée à Raoul de Montfaucon, qui l'aimait tendrement. Raoul était un adroit chasseur et un vaillant champion dans les tournois ; mais il ne chantait pas et le théorbe était muet sous ses doigts inhabiles.

Chaque jour, porté plutôt sur les ailes de l’amour que sur la selle de sa cavale, il venait de Montfaucon à Côte-Brune faire une cour assidue à sa fiancée. Quand le ménestrel récitait en sa présence quelque touchante histoire ou quelque tendre villanelle, il prenait envie à Raoul de couper la gorge à cet enchanteur.

Mais Eve le calmait d’un regard, et bientôt, ensorcelé comme elle, il tendait sa main au plus dangereux des rivaux. « Un jour que la chapelle du château étincelait de mille feux et qu’Eve et Raoul, richement parés, étaient agenouillés devant l'autel, où le vieux chapelain allait les unir, en présence d’une foule de nobles seigneurs et de grandes dames du voisinage, un orage épouvantable éclate et gronde au dehors. L’effroi se répand dans toutes les âmes. Le chanteur, que l'on avait éconduit et que l’on croyait bien loin, apparaît tout à coup au seuil du sanctuaire.

De son regard infernal, il contemple un instant le couple prosterné; puis, d'un bond, il se précipite sur eux, jette au loin Raoul sur la dalle, et, d'une main irrésistible, emporte Eve éperdue à la vue des assistants frappés de stupeur. Il s'élance avec elle sur la croupe d'un coursier rapide, qui les emporte aussitôt dans un tourbillon de poussière. Au galop effréné de leur monture, Eve et son ravisseur avaient déjà franchi montagnes et vallées. En vain le vent mugit autour d'eux, l'éclair brille sur leurs têtes coupables, le tonnerre ébranle au loin les échos des rochers : ils se croient à l'abri de toute poursuite. Déjà le ravisseur serrait sa victime dans ses bras, quand le sol s'effondre et se transforme en un marécage sans fond et sans bornes. Eve et le chanteur maudit, car c'était le diable, disparaissent engloutis avec leur monture dans les abîmes des marais de Saône, qui se refermèrent sur eux pour jamais.

Quand à Raoul de Montfaucon, après avoir repris ses sens, il renonça pour toujours aux vanités du monde et alla s'enterrer tout vivant dans un monastère du voisinage. Là, il pria tant pour sa chère fiancée, qu'à sa dernière heure, un ange lui fit voir, les bras tendus vers lui, Eve de Côte-Brune environnée d'une lumière céleste.


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