Les maîtres de Tiennot Humbert étaient riches; ils faisaient rouler trois charrues et ils n'avaient pas moins de quatre domestiques. Le premier était ivrogne, le second était débauché, le troisième était paresseux; quant au quatrième, Tiennot Humbert, il était pieux, travaillait en silence et ne -parlait à ses camarades qu'en cas de nécessité. Il ne manquait pas tous les matins d'aller faire ses prières à l'église et d'assister à la .messe toutes les fois qu'il le pouvait. Les autres ne tardèrent pas de l'accuser auprès de leur maître. Ils se plaignirent que, sous prétexte de dévotion, Tiennot arrivait toujours le dernier au travail et que par sa faute la tâche de chaque journée ne se faisait pas si bien, et cela au grand dommage du maître qui l'en réprimanda sévèrement. Tiennot Humbert répondit avec humilité et modestie que jamais il ne consentirait à se relâcher dans ses pratiques pieuses envers Dieu, la Vierge et les Saints, mais qu'il laisserait toujours à son maître le soin de juger si le retard causé par sa dévotion lui portait un préjudice, auquel cas il se soumettrait à le réparer; qu'au contraire, s'il n'en 'était rien, il le suppliait de vouloir bien le laisser continuer. La médisance de ses compagnons continua à le persécuter et aigrit tellement son maître contre lui qu'un matin de charrue, devant aller labourer seul un grand champ entre le bois de Rouge-Terre et le bois de Chassagne, il était parti tard pour ce travail. Le maître le suivit en colère et avec l'intention de lui faire les plus durs reproches.
Arrivé à la lisière du bois, d'où il pouvait observer sans être vu les faits et gestes de Tiennot Humbert, le maître aperçut dans son champ deux anges qui, avec deux paires de bœufs blancs, labouraient avec lui. Comme il voulut s'approcher d'eux, ils disparurent. A quoi il reconnut la vérité que Tiennot Humbert, son serviteur, lui avait dite, qu'il n'y a point de temps moins perdu ni mieux employé que celui qu'on donne au service de Dieu. Voilà donc toute la colère du maître apaisée. Au lieu de faire des reproches à Tiennot, il le supplia de lui dire quelles gens c'étaient qu'il avait vu travailler avec lui, et qui, à son abord avaient disparu.
Je ne sais de quelles gens vous voulez me parler, répondit Tiennot, car au labourage que je fais, je n'ai appelé personne à mon secours que le bon Dieu que j'invoque souvent et qui ne manque jamais de m'assister. Depuis ce temps-là, le maître eut dans Tiennot une confiance sans bornes et il lui donna en mariage sa fille unique qui fut aussi comme Tiennot un modèle de vertu.
(On raconte une histoire dans le goût de celle-ci aux environs de Madrid. Il y est dit aussi que des anges laboureurs aidaient saint Isidore dans ses travaux des champs.