La légende de l'écuyer d'Enfer du château d'Ornans [Besançon, Ornans (Doubs)]

Publié le 14 octobre 2023 Thématiques: Animal , Argent , Château , Cheval , Cheval fantastique , Diable , Diable financier , Diable victorieux , Juif , Moine , Mort , Noblesse , Pacte avec le Diable , Usurier ,

Château d'Ornans
JGS25, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons
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Source: Wuillemin E.-Ch. / Sous le porche de l'abbaye, traditions des comtés de Bourgogne et de Neuchâtel (1891) (2 minutes)
Lieu: Une maison / Besançon / Doubs / France
Lieu: Château d'Ornans / Ornans / Doubs / France

Simon Sanathiel était, en 1115, le plus riche usurier de Besançon. On le disait assez riche pour pouvoir acheter à l'occasion toute la Comté de Haute-Bourgogne. On l'appelait aussi sorcier et vendu au diable. Ce juif habitait au quartier de la barrière Saint-Quentin. Un samedi soir, veille de la Pentecôte, après avoir escompté, prêté et trafiqué tout le jour, il se reposait devant sa boutique. Voilà qu'un grand écuyer, qui n'était autre que Satan, vint à lui d'un air assuré. Après un colloque de peu de durée, l'usurier et le diable entrèrent dans la boutique. Nul ne sait ce qu'ils y firent; mais quand le diable s'en alla, après un tiers d'heure, il remit au juif un parchemin en disant « Dans une heure, il frappera à votre porte; il sera vêtu d'un simple pourpoint de futaine, avec chaperon noir. »

Simon resta seul et pensif en attendant la visite annoncée. Il disait par intervalles: Je ne serai peut-être pas seul damné! Satan a résolu de m'adjoindre, pour l'aller visiter, notre puissant comte Guillaume III.

Comme le beffroi de Saint-Etienne-du-Mont se mit à tinter le couvre-feu, l'usurier entendit frapper à la devanture de sa boutique.

Le voici, fit-il, en allant ouvrir. Et un personnage vêtu d'un simple pourpoint de futaine, avec chaperon noir, entra sans mot dire.
– Monseigneur comte, dit l'usurier en présentant un siège au visiteur.
– Tu me reconnais, reprit ce dernier. Ton or me fait besoin. Remets-moi illico 900 livres parisis.
– Je possède en effet pareille somme, répondit l'usurier avec hésitation; mais cet argent m'a été mis en dépôt par un écuyer pour l'abbé de Cluny.
– Prou de moi, dit le comte vivement, après un instant de réflexion ; et que je sois plutôt damné !... Tes écus de moine, Sanathiel ?
– Les voici, Monseigneur. Mais auparavant, veuillez mettre votre scel à ce parchemin, qui dit justement que c'est vous qui avez détourné 900 livres parisis du trésor de l'abbaye de Cluny, et que dans un an, à pareil jour et heure (minuit), vous faites promesse de les restituer à la requête du prédit écuyer, lequel vous viendra quérir à cet effet.

Le comte scella le parchemin, prit l'or et partit.

L'abbé de Cluny, apprenant à quelque temps de là le méfait de Guillaume, allait disant: Le misérable! il a vendu son âme au démon. Je lui prédis sous peu une triste fin...

L'année suivante, à la veille de la Pentecôte, Guillaume III donnait une fête brillante dans son castel d'Ornans. Ce n'étaient que jeux, festins, danses et chansons. La nuit déjà s'avançait et nul n'avait pris garde à la fuite du temps.

Voilà que tout à coup, à minuit, la grande porte de la salle s'ouvrit à deux battants, et qu'un écuyer apparut sur le seuil, tenant la bride d'un cheval noir comme lui, sur lequel se trouvait enfourché Simon Sanathiel, l'usurier, immobile et pâle comme un mort.
– Monseigneur Comte, dit l'Ecuyer d'Enfer, car c'était lui, il y a un an, à pareil jour, à pareille heure, vous êtes venu chez ce juif...
– Eh, que voulez-vous, sire écuyer ?
– Que vous ne soyez pas foi-mentie, Monseigneur; et, pour ce, voici un destrier qui vous mènera à son logis, où nous réglerons compte. Ce disant, l'écuyer saisit le bras de Guillaume d'une si forte étreinte qu'il le fit craquer, et le jeta sur le destrier où déjà était le juif. Puis, s'enfourchant lui-même, il s'accroupit sur les deux damnés et disparut aussitôt, ne laissant dans la salle qu'une odeur de bitume et de soufre.


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