Saint Antide, évèque de Besançon, avait un grand pouvoir sur les mauvais esprits. Voulant un jour visiter toutes les parties de l'héritage confié à ses soins, il se dirigeait du côté du Doubs pour le traverser, lorsqu'il aperçut un mouvement extraordinaire sur le pont. Caché par un voile divin, il se retira à l'écart afin d'être témoin du spectacle étonnant qu'il avait sous les yeux. Il aperçut alors le chef des démons, élevé sur un siège, la tête couronnée d'un diadème, promenant son sceptre sur une foule d'autres démons prosternés à ses pieds, et demandant compte à chacun des efforts qu'il avait faits pour perdre les âmes des fidèles.
Tout à coup, un démon, à la face hideuse, tout souillé de poussière, exténué de fatigue, arriva au pied du trône de Satan. Il tenait à la main une pantoufle, qu'il agitait d'un air triomphant. Le prince des démons l'ayant interrogé, il répondit qu'enfin ses efforts avaient triomphé de la résistance du Souverain Pontife, l'avaient fait tomber dans une faute, et que bientôt l'Eglise du Crucifié serait remplie de nouveaux troubles. A cette nouvelle, toute l'assemblée hurla d'une joie furieuse.
Saint Antide, effrayé des malheurs qui pouvaient arriver, prend une résolution subite : il appelle les clercs qui se trouvaient derrière lui, les invite à retourner dans sa demeure épiscopale, se recommande à leurs prières, et, se munissant du signe de la croix, il se précipite au milieu de l'assemblée des démons, va droit à celui qui venait de parler et lui dit : « Au nom du Père tout puissant, du Fils et du Saint-Esprit, auquel toute créature rend hommage, je t'ordonne de me transporter immédiatement à Rome, te défendant en même temps de nuire en quoi que ce soit au serviteur de Dieu. » En ce disant, il montait sur le démon transformé en dragon impétueux.
Les montagnes, les vallées, les fleuves disparaissaient sous le vol de l'étrange coursier, qui dépose son cavalier devant l'église de Latran(*). Saint Antide ordonne à sa monture de l'attendre, entre à l'église, où la multitude était déjà rassemblée pour le saint sacrifice, se prosterne dans le sanctuaire, va droit au pape, lui expose le motif de son voyage, lui montre la sandale qu'il avait ravie au démon. Surpris et attéré, le Souverain Pontife verse des larmes, se jette aux genoux de saint Antide; puis, le faisant revêtir des ornements pontificaux, le conjure d'offrir le saint sacrifice et de bénir le saint chrème. Notre saint monta à l'autel, au grand étonnement de la multitude, et ayant, après la cérémonie, entendu la confession du Souverain Pontife, il alla retrouver son coursier rapide et arriva à Besançon le samedi-saint à la sixième heure.
Grande fut la joie du clergé, qui ne pouvait s'expliquer son absence. Il distribua le saint chrême et solennisa la fête de Pâques avec une grande joie.
(*) Comme ils traversaient la mer, le diable lui cońseilla perfidement de se signer; mais Antide lui répondit avec autant d'esprit que de prudence: «< Tout signé que le diable porte. » La légende nous a conservé les paroles du démon. C'est un distique que l'on peut lire aussi bien par la gauche que par la droite, et dont les lettres, prises à rebours, reproduisent les mêmes mots; invention véritablement diabolique et qui indique assez : son auteur: