La légende du Diable aux roches des Zili [Sarrola-Carcopino (Corse-du-Sud)]

Publié le 6 juin 2023 Thématiques: Âme , Animal , Bruit , Cheval , Cloche , Diable , Empreinte , Empreinte dans la roche , Fuite , Origine d'une trace dans la roche , Pauvre , Pierre | Roche , Sorcier ,

Une jeune femme endormie
Une jeune femme endormie. Source Midjourney
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Source: Giustiniani J.-A. / Contes et légendes de la Corse (1934) (3 minutes)
Lieu: Rochers de Zili / Sarrola-Carcopino / Corse-du-Sud / France

« Par mes cornes ! se dit un jour le diable, [...] nous allons voir un peu si dans ce maudit village de Sarrola, qui, heureusement, nous fournit sa bonne part de morts, nous n'allons pas capturer l'âme vivante qu'il doit encore à notre enfer.» Et, dissimulant ses cornes sous une toque de velours noir, il jeta un manteau sombre sur ses épaules velues et monta sur un cheval ailé qui n'était autre qu'un vieux, sorcier sarrolais connaissant tous les recoins de la localité à explorer.

Vers minuit, Satan et sa monture tournoyaient au-dessus du village et, peu après, atterrissaient à, l'entassement chaotique de rochers des Zili qui, du petit plateau où s'élève l'oratoire de Santa-Maria, dévale en pente raide jusqu'au ruisseau du Lavo. À mi-flanc, parmi ces rochers, se trouvait une vaste pierre plate qui formait une sorte de dalle près de laquelle, appuyée à un ciste, une jeune fille d'une quinzaine d'années dormait profondément. C'était une orpheline qui vivait seule, libre et insouciante, dans une vieille masure et qui n'aimait qu'une chevrette qu'elle menait paître un peu partout. Ce soir-là, après avoir erré dans les environs du village, elle s'était arrêtée aux Zili et grisée par la mélancolie du crépuscule d'été et par l'arôme puissant des cistes, elle s'était laissée gagner par le sommeil. Nul, parmi ses voisins, habitués à la voir sortir et rentrer à toute heure selon ses caprices, n'avait songé à aller la chercher.

Satan, sûr enfin d'avoir sa proie, était descendu de cheval, s'était assis à quelques pas de la jeune fille et, la couvant des yeux, attendait patiemment son réveil. Car, paraît-il, s'il lui est permis d'enlever pendant la nuit une personne éveillée, il lui est interdit d'y toucher si elle est endormie. Satan donc attendait. Une heure, puis deux, puis trois s'écoulèrent et l'enfant ne se réveillait pas encore. L'inquiétude commençait à s'emparer de l'âme de l'infernal rôdeur. Il s'approcha de la dormeuse et toussota dans l'espoir de la réveiller. Peine inutile. Et plus le temps passait. plus son inquiétude se changeait en angoisse et il grimaçait et se tordait horriblement, car sous son corps qui s'alourdissait davantage à mesure que le jour approchait, il sentait la pierre s'amollir et se creuser. Allait-il, chauve-souris géante habituée seulement aux ténèbres de son royaume, rester cloué là pendant toute une longue journée, sous l'aveuglant et implacable soleil de Sarrola ?

Et, au ciel profond et d'un bleu cru, les myriades d'étoiles pâlissaient puis s'effaçaient les unes après les autres. Puis il ne resta plus au firmament que la planète Mars qui, semblant le narguer de son œil d'or mat, continuait à rayonner dans l'infini.

Or, voici que tout à coup s'éleva joyeux et clair dans l'air léger le son de la cloche de Santa-Maria appelant les fidèles à la messe basse du vieux curé. Presque aussitôt, dans une maison voisine, le coq chanta. Alors l'orpheline se réveilla... Mais il était trop tard pour l'échappé des enfers qui ne songeait plus qu'à la fuite et qui essayait en vain depuis un moment de remonter sur sa bête.

Enfin, raidissant tous les muscles de fer de son corps dans un effort dont nul homme sur la terre ne serait capable, il parvint; à enfourcher son cheval, et, riant d'un rire sinistre, il disparut vers le septentrion, laissant la jeune fille folle d'épouvante.

« Enfant, me disait la bonne et vieille grand'-mère qui me racontait cette histoire il y a plus de cinquante ans, garde toi d'aller jouer du côté des Zili où tu pourrais t'endorniir: le diable y vient, toujours chercher l'âme vivante dont il a besoin dans son enfer. »

Je ne tins naturellement pas compte de sa recommandation et. le lendemain, avec quelques gamins de mon âge, je vagabondais- parmi les rochers des Zili et j'y vis, non sans frayeur, sur une vaste pierre plate, les étranges et profondes empreintes des pieds nus de Satan et des sabots de son cheval.


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