J. C. Hare écrit ceci à propos de Fiesole, dans The Cities of Central Italy :
« Les vestiges les plus importants des fortifications étrusques se trouvent sur le versant nord de la colline, où ils s’élèvent de vingt à trente pieds. Derrière la cathédrale, dans un jardin, on voit des restes du théâtre romain (et non étrusque). Il n’y a pas grand-chose à voir, mais le lieu, à demi enseveli sous les fleurs, est charmant. Quelques pans de mur extérieur et des gradins sont visibles. Des voûtes en dessous, en opus incertum, sont appelées par les Fiesolans Le Buche delle Fate, c’est-à-dire les Antres des Fées.
Dans le Borgo Unto se trouve une curieuse fontaine, au bout d’un passage souterrain précédé d’une arcade gothique. On l’appelle Fonte Sottera, et son eau pure alimente tout le quartier. »
Comme je m’y attendais, un tel endroit devait avoir sa légende. Maddalena, après un petit pèlerinage à Fiesole, la recueillit bien vite et me la transmit. Je la donne ici telle quelle, sans ajout ni retranchement.
« Les Antres des Fées sont à Fiesole ; on les appelle l’Amphithéâtre ou Théâtre romain. Derrière la Cathédrale descend un chemin ; au bas, à droite, on trouve les vestiges des gigantesques murs étrusques.
Si l’on revient par l’esplanade, à gauche, on gagne la via delle Cannelle ; dans la première ferme à gauche se trouve ce qu’on dit être le Théâtre romain. Le peuple l’appelle Le Buche delle Fate.
Dans cette ferme où sont ces antres, il y eut d’abord un établissement étrusque : on disait que c’était une forteresse. Quand les guerres l’eurent ruinée, elle fut peu à peu recouverte, jusqu’à former une colline. Quand on la dégagea à l’époque moderne, on découvrit d’abord des pans de murs, puis trois arcs, puis une fontaine. On appela le tout la Maison des Fées. Le bassin était plein de poissons : c’étaient des gens enchantés transformés en poissons.
La Maison des Fées était un splendide palais où les fées tenaient une école publique pour garçons et filles, appelée Squola delle Signore — l’École des Dames. On y traitait si bien les élèves qu’ils s’y rendaient avec joie et pleuraient de devoir rentrer. Les parents n’en revenaient pas : tous progressaient également et pas un ne rechignait à aller chez les Dames.
Les fées apprenaient aux enfants des ouvrages qui les enchantaient pour de bon, et comme ils les apprenaient aisément et les aimaient, beaucoup devinrent habiles et réussirent. »
Laissons un instant les fées et venons à l’histoire.
Il était une fois une jeune dame, de noble et riche famille, mariée à un beau seigneur de même condition. Ils s’aimèrent tendrement — un temps. Mais, comme souvent alors et encore aujourd’hui, l’antiquité de la lignée obséda le mari, avide d’un héritier. Rien ne venant, il se refroidit, puis devint cruel. Cette idée fixe le rongea au point de souhaiter la mort de sa femme pour en épouser une autre.
La pauvre dame, pieuse et charitable, ne pouvait que prier et pleurer ; sa pâleur et sa tristesse irritaient davantage son mari. Un jour, rentrant de la chasse et la trouvant en larmes, il la fit jeter au cachot, avec ordre de ne lui donner que du pain et de l’eau, afin qu’elle mourût vite : il en avait assez d’une telle épouse.
Alors, songeant à son innocence, à sa vie pieuse et bienfaisante, elle douta de la Providence et, désespérée, appela le Malin à l’aide. L’appel fut entendu : un tonnerre lointain roula, se rapprocha, la foudre éclata, des chaînes sonnèrent ; apparut un démon, gracieux gentilhomme vêtu de noir, entouré d’une clarté bleutée, des flammes ondoyantes autour de sa tête comme une chevelure vivante.
Pris de peur, elle regretta son appel ; mais l’esprit lui dit :
« Ta voix m’a convoqué
Et mon cœur s’en est réjoui :
J’ai senti dans ton souffle
Ma propre fièvre de désespoir.
Tu m’as appelé de loin,
Par-delà l’étoile la plus lointaine.
Que veux-tu de moi, femme ? »
Elle prit courage :
« Tout ce que je demande,
c’est d’être mère. »
L’esprit répondit :
« Tu porteras bientôt une belle fille,
D’un esprit et d’un cœur sans pareils :
Toute ta peine sera compensée.
Mais moi qui t’aide, j’ai ma part :
Dans quinze ans, quoi qu’il advienne,
Elle sera à moi. »
La folle envie d’un enfant et l’espoir de reconquérir son mari emportèrent la pauvre dame : elle consentit, voyant là l’unique issue. Le démon, déguisé en sage, alla convaincre le mari : les astres montraient clairement que, si l’on reprenait la dame en grâce, elle deviendrait mère. Tout à son idée fixe, il la fit tirer du cachot, lui demanda pardon ; bientôt elle fut heureuse — et le démon tint parole : elle enfanta une fille d’une beauté incroyable et d’un esprit merveilleux.
L’enfant, en âge, fut envoyée à l’École des Dames, dont elle devint la chérie. Les fées, qui savent tout, cherchèrent comment la sauver du sort promis.
Elles avaient remarqué le gaspillage de paille dans le pays et inventé l’art de la fendre en brins et de la tresser en chapeaux et beaux ouvrages — art né à Fiesole, où il se pratique encore à la perfection. Elles l’enseignèrent à la fillette, qui fit, suivant leurs indications, un panier carré pour son déjeuner, avec sur chaque face une croix rouge et noire.
À l’approche du quinzième anniversaire, la mère, anxieuse, ne cessait de pleurer, au grand déplaisir du mari. Alors les fées dirent à la jeune fille :
« Dans quelques jours, mon enfant, viendra ton quinzième anniversaire et, ce jour-là, un grand danger. Ta mère voudra te garder près d’elle jusqu’au bout. Quoi qu’il arrive, échappe-toi et viens à l’école. Mais d’abord, prends cette petite cuvette d’argent et, quand ta mère pleure, recueille-y quinze de ses larmes. Ne lui dis pas pourquoi ; sinon nous ne pourrons rien pour toi. »
Le matin venu, les parents voulurent la retenir. Elle versa les quinze larmes dans un flacon, prit son panier — sans déjeuner, mais avec le flacon — et partit. À l’école l’attendait, sous une arcade, le pâle seigneur en noir. Les fées, apercevant la jeune fille, la jetèrent dans la fontaine et lui dirent : « Quand le démon tentera de te saisir, jette-lui ces larmes au visage et dis :
Pour les quinze ans de la fille,
Prends les quinze larmes de la mère ;
Chaque année, c’est bien clair,
vaut une année de souffrance. »
Elle fit et dit ainsi : le diable, vaincu, s’enfonça dans la terre dans un fracas de tonnerre, crachant des étincelles comme un feu d’artifice. La jeune fille fut libre — « et tout alla bien pour tous, à jamais ».
Depuis ce temps, Fiesole est fameuse pour ses ouvrages de paille enseignés par les fées ; et, de nos jours encore, quand on voit sortir des lapins des ruines, on dit que ce sont les fate.


