Aux Ormonts, il fut pendant longtemps question de ces célèbres chasseurs [nommés les deux Jean]. Un jour que l'un des deux était à la chasse du chamois près de l'Oldenhorn, il aperçut, à sa grande surprise, une femme qui montait les parois de rochers, en portant un berceau posé sur sa tête. Cette femme s'approche et lui demande s'il osait venir lui tuer ses chèvres. Sur la réponse franche du chasseur, lui déclarant son dessein, elle lui offrit un joli fromage de chamois, en lui disant qu'aussi longtemps qu'il s'abstiendrait d'aller à la chasse, il verrait ce délicieux petit fromage ne jamais diminuer. Jean accepta et s'en trouva fort bien jusqu'au jour où sa passion reprit le dessus. Rencontrant de nouveau celle qui lui avait parlé une première fois, il fut fort étonné de lui entendre demander pourquoi il n'était pas à Saint-Maurice ce jour-là, puisque tous les démons comme lui y étaient rassemblés, pour enterrer un aubergiste qui, pendant vingt ans, n'avait jamais cessé de mêler de l'eau à son vin. Sur ce, Jean partit en hâte, arriva à Saint-Maurice où il constata en effet la mort du cabaretier.
Les deux frères chassaient ordinairement seuls. Il leur suffisait de voir le gibier pour l'atteindre. Quand, à quelques mois de distance, ils se trouvèrent sur leur lit de mort, les chamois, les lièvres et les renards se mirent à gambader autour de leur demeure. Il y eut, pendant trois jours, une grande joie dans les gîtes et dans les tannières d'alentour. Le vieux gibier surtout se mit en liesse. A Creux de Champs, au Pillon, à Solalex, en Maitreille, au Mont d'Or, à la Lécherette, dans les bois qui entourent le Melleret, il y eut de joyeux sabbats. Les vieux renards tenaient les violons, et, du haut des branches des sapins, les perdrix, les coqs de bruyères et les faisans sifflaient leurs plus jolis airs.