Sous les ruines [du manoir d'Aigremont], dans des souterrains d'un accès périlleux, la tradition affirme qu'il se trouve des chaudières remplies d'or qui ont souvent agité les imaginations des habitants d'alentour.
On raconte à ce sujet que, vers le milieu du XVIIIe siècle, un paysan de la contrée se promenait près de l'entrée du souterrain qui favorisait autrefois les relations secrètes des seigneurs de Pontverre avec le monde extérieur. Les yeux fixés à terre, réfléchissant comment il pourrait bien réussir à s'enrichir promptement, l'Ormonan aperçut tout à coup une belle pièce d'or qui brillait dans le gazon. Tout heureux de sa trouvaille et ne doutant pas que cette pièce ne provînt du trésor d'Aigremont (car elle paraissait très ancienne), il crut devoir rassembler quelques voisins et leur proposer une fouille dans le redoutable souterrain qu'on disait être gardé par un bouc énorme et par une truie rouge aux regards menaçants. Après délibération, la proposition fut acceptée. Le jour fixé pour le « grand œuvre,» six robustes montagnards munis de pioches et de hottes, de haches et de lanternes, de prières et de formules contre les maléfices, se rencontrèrent sous le bois d'Aigremont et, le cœur leur battant bien fort, commencèrent à déblayer l'entrée du souterrain.
Après avoir pioché pendant deux ou trois heures et surmonté divers obstacles inattendus, ils arrivèrent à l'entrée d'une sorte de tunnel étroit, mais assez haut pour qu'on pût s'y tenir debout. Ils y pénétrèrent en y marchant à l'aise pendant quelques minutes, lorsque tout à coup ils se trouvèrent en face d'une porte de fer très massive qui leur barrait le passage. Ils essayèrent de l'ouvrir; ils heurtèrent, ils poussèrent, ils frappèrent: mais ce fut en vain; la porte d'airain restait inébranlable et rivée sur ses gonds. Sans se laisser décourager par l'insuccès de ces premiers efforts, nos hardis chercheurs décident de revenir le lendemain avec le maréchal et le forgeron du voisinage. A l'heure convenue, le travail fut repris avec un nouveau courage, après qu'on eut eu soin, cela va sans dire, de réciter les formules cabalistiques dont on s'était muni. Le soleil venait de se lever et les premiers chants des oiseaux retentissaient dans la forêt, lorsque le forgeron, prenant un passe-partout, l'introduisit dans la serrure de la porte de fer. Soudain une voix de tonnerre se fit entendre dans les profondeurs du souterrain. La porte s'ouvrit comme d'elle-même, mais en faisant entendre un grincement épouvantable. Un homme roux de très haute taille se présenta sur le seuil.
– Que cherchez-vous? dit-il d'une voix de Stentor.
– Le trésor d'Aigremont, répondirent les Ormonans saisis de frayeur.
– Donnez-moi vos âmes et je vous le montrerai.
Estimant que leurs âmes valaient mieux qu'un trésor, les montagnards, au lieu de conclure le pacte qui leur était proposé, se hâtèrent d'abandonner ces voûtes infernales où le vieux Mammon leur était apparu.
Dès lors, d'autres chercheurs disent avoir vu apparaître au fond de ces galeries souterraines le puissant seigneur de Pontverre en personne. Il a les orbites creuses, l'aspect terrible. Il est revêtu de son casque et de son armure et compte sans relâche, entre deux chaudières, des piles d'écus d'or.
Maintenant, tout est bien silencieux autour des ruines du vieux manoir. On n'y entend plus guère que le bruit sauvage de la Grande Eau, dont la voix majestueuse monte des profondeurs de la vallée, et le sifflement des vents d'orage qui balancent les arbres de la forêt.
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