En ce temps-là, la commune de Courson était dénuée de rivière. C'était triste à tous égards; aussi les habitants s'en allaient-ils à l'envi résider dans d'autres localités afin de bénéficier des avantages que procure l'eau. Les édiles de la commune étaient d'autant plus désolés que l'émigration prenait des proportions inquiétantes. Un peu plus, et la commune de Courson serait incorporée à St-Vigor-des-Monts, ou à Morigny, voire même à Saint Sever. Ils se réunirent donc afin d'aviser aux moyens d'empêcher une telle éventualité. Après quelques heures de discussion, il fut décidé qu'une grande tranchée serait creusée et amènerait à travers la commune une partie des eaux de la Sienne qui coule entre elle et la commune de Saint-Sever. De nombreux ouvriers se mirent à l'œuvre ; une tranchée fut pratiquée conformément à la délibération des édiles; elle mettait ainsi la Sienne en communication avec une autre rivière. Le jour fut fixé pour la bénédiction du canal.
Au jour dit, les habitants de Courson revêtus de leurs plus beaux habits, se rendirent aux limites de la commune. Le curé assisté d'un nombreux clergé, bénit la tranchée. Les ouvriers enlevèrent rapidement les derniers blocs de terre qui empêchaient les eaux de la Sienne de couler en partie dans le nouveau lit. Alors les eaux affluèrent à la grande joie des Coursonnais. L'un d'eux s'écria même dans sa joie. « Que Dieu soit béni! La Sienne arrosera maintenant les terres de notre commune. » Mais un sceptique, mêlé à la foule, répondit en ricanant: « Qu'ille veuille ou non, l'eau est à nous maintenant!» Or, à la grande stupéfaction des assistants. les eaux rétrogradèrent et rentrèrent dans leur lit primitif. La foule lapida le sceptique; mais il faut croire que cette expiation fut insuffisante aux yeux de la Providence ; car, malgré plusieurs tentatives ultérieures la Sienne n'a jamais coulé à Courson.