Un matin, comme je me levais, je vis entrer chez moi Marie Sigorel. C'était une voisine qui vivait des pèlerinages qu'on lui faisait faire.
– Excusez-moi, dit-elle. Est-ce que je ne vous ai pas entendue dire que vous aviez fait vœu d'aller à Saint-Samson ?
– Si bien.
– Voulez-vous que nous y allions aujourd'hui ensemble? J'ai accepté d'y faire un pèlerinage pour un enfant qu'on avait fait vœu d'y mener et qui est mort avant que le vœu ait été accompli.
– Ma foi, répondis-je, je ne demande pas mieux. Je terminai quelques préparatifs, et nous partîmes. Au commencement, tout alla bien. Mais quand nous fûmes sorties du territoire de notre paroisse, je crus m'apercevoir que la femme Sigorel traînait la jambe.
– Qu'est-ce donc? lui dis-je. Nous avons fait une lieue à peine, et vous paraissez déjà fatiguée.
– Oui, c'est singulier, je ne sais ce que j'ai. C'est comme si j'avais sur les épaules un poids qui devient de plus en plus lourd à mesure que j'avance.
Nous continuâmes tout de même de cheminer. Mais à chaque instant, j'étais obligée d'attendre que Marie m'eût rejointe. Elle détournait la tête sans cesse, d'un air inquiet.
– Que regardez-vous ainsi? lui demandai-je.
Je n'étais pas très rassurée moi-même. Il me semblait entendre derrière nous un petit pas menu, comme un pas d'enfant. Nous étions cependant toutes seules sur la route.
– Est-ce que vous n'entendez pas? fit Marie Sigorel, en réponse à ma question.
– Si, dis-je. Qu'est-ce que cela peut bien signifier?
– Je ne sais. Nous ferions peut-être mieux de nous arrêter. D'ailleurs, je n'en puis plus. Il faut que je délace mon corsage. Il me semble le sentir aussi lourd que plomb sur mes épaules.
Nous nous assîmes sur un tas de pierres. Je méditais tristement. Tout à coup une inspiration me vint :
– Marie Sigorel, avez-vous été prier sur la tombe du mort, avant de vous mettre en route.
– En vérité, non. Je n'en ai pas eu l'idée.
– Oh! bien, alors tout s'explique. Si vous étiez allée au cimetière inviter l'enfant à marcher devant vous, nous ne l'aurions pas eu sur nos talons, et vous n'auriez pas eu le poids de son vœu sur les épaules.
– J'ai eu grand tort. Mais maintenant, comment faire?
J'eusse été fort empêchée de tirer d'embarras la femme Sigorel. Par bonheur, nous vîmes à ce moment, sur le chemin, une vieille qui paraissait venir de notre côté. J'allai à elle, et je lui contai le cas de ma compagne.
– Vous êtes une personne d'âge, ajoutai-je; vous devez avoir l'expérience de toutes choses. Donnez-nous, de grâce, un bon conseil.
La vieille se tourna aussitôt vers Marie Sigorel :
– Avez-vous dans votre poche, lui demanda-t-elle, l'offrande à faire au saint?
– Oui, répondit Marie, j'ai les cinq sous qu'on m'a chargée de mettre dans le tronc.
– Eh bien! glissez-les dans vos chaussures, sous la plante de vos pieds, et récitez une prière pour demander à Dieu d'accroître la béatitude du pauvre ange. Vous pourrez alors continuer votre chemin, sans encombre.
Nous souhaitâmes à la vieille mille bénédictions. A partir de ce moment, Marie Sigorel chemina librement et notre pèlerinage s'accomplit le mieux du monde.
(Conté par Lise Bellec, couturière. - Port-Blanc.)