La légende de la fondation de Marseille [Marseille (Bouches-du-Rhône)]

Publié le 6 octobre 2023 Thématiques: Amour , Mariage , Marin , Mythologie , Noblesse , Origine , Origine d'une ville , Ville ,

Sculpture retraçant la fondation de Marseille
Rvalette, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons
ajouter aux favoris Ajouter une alerte en cas de modification augmenter la taille du texte reduire la taille du texte
Source: Bérenger-Féraud Laurent-Jean-Baptiste / Légendes Normandes (1888) (5 minutes)
Lieu: Ville de Marseille / Marseille / Bouches-du-Rhône / France

En l'an 599 avant J.-C. les Phocéens qui, on le sait, descendaient des habitants de l'Attique ou de l'Ionie, et qui s'étaient établis depuis assez longtemps sur les côtes de l'Asie-Mineure, eurent le désir d'accroître leurs relations maritimes avec l'Europe occidentale.

Quand on jette un coup d'œil synthétique sur la marche de la civilisation sur les rivages de la Méditerranée, on voit que tour à tour un point est devenu le foyer de l'intelligence, de l'industrie et du commerce; foyer d'où rayonnait peu à peu et de plus en plus loin l'influence du peuple le plus avancé de l'époque. Au moment qui nous occupe, les Phéniciens avaient fourni leur effort et étaient retombés depuis plusieurs siècles dans un plan inférieur. Les Phocéens étaient à l'apogée de leur fortune, leur heure était arrivée, en un mot; et avant de céder la priorité à d'autres, après l'épuisement de leur force vive, ils manifestaient leur puissance par leur expansion colonisatrice.

Les Phocéens formèrent donc le projet d'établir un comptoir sur les rivages de la Gaule qui, après avoir été fréquentée par les Phéniciens, et avoir sans doute présenté un état de civilisation assez marqué, si nous en croyons les vestiges qui sont venus jusqu'à nous, était retombée dans l'état de barbarie le plus primitif. Elle devait ressembler d'une manière frappante, si je ne m'abuse, à l'état où nous voyons actuellement les côtes de l'Afrique occidentale, de l'Australie et de certains points les plus arriérés du continent ou des grandes îles indo-asiatiques.

Comme la religion tenait une grande place dans la société d'alors, ils commencèrent par consulter les dieux; car il fallait que les présages fussent favorables pour entreprendre une chose aussi importante, à l'époque dont nous parlons, chez tous les Grecs de la Méditerranée orientale. La réponse des dieux étant favorable, une expédition composée d'hommes et de femmes, emportant les instruments, les plantes, tout, enfin, ce qu'il fallait pour fonder une colonie, se mit en route, dit la légende.

Cette expédition était placée sous les ordres d'un chef qu'on appelle indifféremment Protis, Euxêne, ou Simos, trois mots dont la signification est précise dans la langue grecque, et qui constituent une allusion tellement claire qu'on ne peut se défendre de la pensée qu'ils sont une pure allégorie.

Les Phocéens touchèrent tout d'abord à Ephèse, où l'oracle avait prescrit d'aller prendre une personne que Diane leur désignerait et qui se chargerait de la direction spirituelle de l'émigration.

Nous voyons là, encore, un indice frappant du fabuleux de la légende, c'est-à-dire de son arrangement, a posteriori, pour les besoins de la cause qu'elle voulait établir et faire admettre par l'esprit de la masse, lorsqu'elle fut formulée.

Pendant que les Phocéens étaient à Ephèse, un phénomène surnaturel se passa : Une des principales prêtresses de Diane qui s'appelait, dit la légende, Aristarché, encore un nom d'un symbolisme remarquable, – vit en songe la déesse qui lui commanda de prendre une de ses statues et de l'embarquer sur le navire qui allait fonder une colonie sur la côte ligurienne.

Outre la statue de Diane, la prêtresse Aristarché prit une portion du feu sacré qui brûlait à perpétuité dans le sanctuaire du temple, afin qu'on put établir sans retard un culte régulier de la déesse, dans le nouveau pays.

Ainsi munie, de tout ce que le temporel et le spirituel réclamaient pour la réussite de l'entreprise, l'expédition fit voile vers les côtes de la Gaule. Elle aborda dans la baie de Marseille, qui était désignée dans l'esprit de son chef, depuis bien avant son départ; car il faut ajouter, toujours d'après la légende, qu'un navire phocéen, qui en revenant des colonnes d'Hercule avait été atteint dans ces parages d'une furieuse tempête, avait trouvé dans la baie de Lacydon un refuge excellent, et avait rapporté dans la mère-patrie la notion d'un pays favorisé à tous égards, et par tout ce qui pouvait en faire un lieu de promission.

Protis arriva donc, avec son navire et son monde, dans la baie de la future Marseille. Nous pourrions ajouter que, d'après la légende, le mot Massalia fut le premier prononcé par hasard, μασσα αλιεδ, attache le cable; mais ce serait une longueur inutile à notre exposition.

Il s'agissait d'obtenir, tout d'abord, l'autorisation du roi des Ségobriges qui régnait dans le pays, pour fonder une ville dans la baie de Marseille; de sorte qu'aussitôt après être arrivé, Protis se mit en mesure d'aller la lui demander. Pour cela faire, il se revêtit sans doute, de ses plus beaux habits et se fit accompagner, sinon précéder, par les cadeaux les plus agréables aux naturels de la contrée quelques objets d'utilité ou de luxe quelques brillantes étoffes de couleurs voyantes; et surtout aussi, probablement, du vin, ou telles autres liqueurs fermentées.

Or, il advint que précisément ce jour-là, le vieux roi Ségobrigien, qui s'appelait Mann, Manus, Nan, Cénomanus, suivant les divers conteurs, et qui avait pour unique héritière une fille du nom de Gyptis (la blanche), pour les uns, du nom de Péta (la demanderesse), pour les autres, avait résolu de prendre un gendre. Ce vieux roi voulait ainsi avoir un successeur mâle et une descendance assurée.

La coutume du pays voulait que ce choix fut l'objet d'une grande cérémonie que voici : tous les jeunes gens de marque du voisinage, qui désiraient obtenir la main de la fille, étaient venus en habit de fête; un repas solennel était servi et tous les étrangers avaient le droit d'y prendre part à titre égal. Après le repas, la jeune fille devait apparaitre tout à coup parée de ses plus beaux ornements, et elle devait offrir une coupe pleine à celui que son cœur avait choisi.

Le fait de la présentation de la coupe était significatif, l'heureux élu devenait mari de la reine future et, par conséquent, roi désigné du pays, après la mort de son beau-père.

La légende dit que Gyptis, frappée de la beauté, de l'air noble, de la vaillante tournure de Protis, lui présenta la coupe. Au lieu de satisfaire les voeux de quelqu'un de ses compatriotes, d'un de ses compagnons d'enfance, la belle Provençale préféra donner son cœur, sa main, son trône futur, au séduisant étranger qu'elle voyait ce jour-là pour la première fois.

Grande fut la surprise de tous, on le comprend facilement. Les nombreux amoureux délaissés furent vivement blessés, sans doute; mais le vieux Mann, au lieu de se fâcher, trouva, au contraire, dans cet évènement, conduit par le pur hasard et absolument imprévu, un ordre de la divinité pour bien accueillir les Phocéens. Ce fut à ses yeux un présage surnaturel pour la prospérité de sa descendance et de son pays.

Dans une pareille disposition d'esprit, il consentit au mariage, et il donna pour dot à Gyptis, le pays désiré par les étrangers; de sorte que la ville de Massalia se trouva fondée ipso-facto, la première année de la quarante-cinquième olympiade (599 av. J.-C.).


Partager cet article sur :