Non loin de Ratzwiller, village du canton de Saar-Union, là où le moulin de Neuwerk fait retentir la solitude de son joyeux tic-tac, au milieu de belles forêts de sapins, de chênes et de hêtres, se trouve le Steinerne Mannsberg. Cette colline est environnée d'un rempart en terre très élevé de neuf à dix mètres d'épaisseur et toute l'enceinte est appelée die Burg, le fort.
Plus loin, à la lisière de la vallée, sont les ruines d'une chapelle qu'on appelle communément l'église païenne. Autour de cette église, là où s'étendent aujourd'hui des prairies marécageuses que traverse le ruisseau dit Spiegelbach, la tradition place une ville perdue dont l'origine est enveloppée de profondes ténèbres. Voici quelle aurait été la cause de sa ruine :
C'était l'époque où Materne avec ses compagnons Euchaire et Valère, évangélisait l'Alsace. Sur les ruines des idoles et des faux dieux le saint éleva des trophées à la vraie religion. Il érigea de nouveaux temples à la gloire de celui qu'il annonçait et reconnaissant la main qui l'avait conduit en Alsace, il les consacra à l'honneur de l'apôtre Pierre de qui il avait reçu la mission par la voix médiate de ses successeurs. Les églises de Helvelus, de Novientum, de Dompetri lui furent redevables de leur établissement et les populations des rives de la Sarre elles-mêmes furent touchées par la nouvelle doctrine.
Mais il y avait dans la ville en question un homme riche et influent qui ne voulait rien savoir du christianisme. Il était en relations avec l'empereur Dioclétien et se sentait protégé par lui. Il excita donc le peuple contre les nouveaux apôtres, se répandit en railleries sur les places et les marchés et enfin réussit à faire lapider et chasser les ministres de Dieu. Bien plus, ayant aperçu dans un coin de ses vastes propriétés une petite chapelle consacrée à la Vierge, et qui avait échappé à la rage des démolisseurs, il ordonna à ses gens de l'abattre et de la remplacer par un temple païen. Mais à peine la valetaille avait-elle terminé sa sinistre besogne qu'un éclair traversa le ciel, le tonnerre fit entendre de sourds grondements et la terre s'entrouvrant, engloutit la ville sous les regards du patricien qui, d'effroi, se changea en froide masse de pierre.
Le Steinerne Mannsberg c'est-à-dire le mont de l'homme de pierre, conserve le souvenir de cette transformation et depuis plus de quinze siècles il domine tristement la petite église ruinée.