Dans les beaux jours où les fées et les nymphes et mille autres aimables créations peuplaient le monde des fables et entretenaient avec les humains des relations agréables et heureuses, vivait en son château de Staufenberg un comte jeune et riche dont la beauté mâle et l'amabilité avait passé en proverbe dans toute la contrée. Passionnément adonné au plaisir de la chasse, il parcourait tous les jours les montagnes et les forêts; dans ses excursions il s'approchait mainte fois des rives peu éloignées du Rhin, lesquelles à cette époque étaient encore peu peuplées.
Il arriva un jour qu'en poursuivant vainement un cerf, il se trouva au bord du fleuve. Fatigué de sa course, il se mit à l'ombre d'un arbre et s'y endormit. En s'éveillant, il vit assise dans l'herbe une jeune fille d'une beauté surnaturelle qui le salua amicalement. Etonné autant de cette apparition qu'attiré par ses charmes, il s'informa de sa qualité et de sa demeure. La gentille enfant lui dit qu'elle était une des nymphes du Rhin et que sa maison était construite au fond du fleuve.
Cette réponse ne fit qu'augmenter l'étonnement du comte; l'être énigmatique fit une impression si forte sur lui que charmé de la beauté idéale de la nymphe, il ne voulut s'en séparer qu'après qu'elle lui eût donné la promesse de se trouver le lendemain au même endroit.
Le comte renonça dès lors à la chasse et à tous les amusements qu'il avait recherchés jusqu'à ce jour; il ne songea qu'à la belle enchanteresse qui l'enlaçait dans les liens magiques de son amour. Chaque jour il la revoyait en ce lieu calme et paisible, où elle lui avait apparu la première fois; rien ne venait troubler la douce jouissance de cet amour fortuné.
Le serment d'un amour éternel que la fée avait exigé, le comte s'était empressé de le faire, en protestant qu'il lui serait impossible d'appartenir jamais à une autre; l'amante de son côté lui promit des joies perpétuelles et une vie très-longue. „Ah, si tu pouvais jamais,“ disait-elle parfois d'une voix prophétique, „oublier ton serment et violer la fidélité que tu m'as jurée, il ne me resterait qu'à pleurer éternellement; je ne sais aimer qu'une fois et ne puis aimer que toi. Mais l'infidélité te serait pernicieuse; tu entendrais mes plaintes dans ton château et dans tous les lieux que tu visiterais; et alors même que tu ne me verrais point, tu apercevrais mon pied et cela te serait un avis que trois jours plus tard tu devrais être la proie de la mort en expiation de ton parjure."
Cette paisible alliance fut pendant longtemps heureuse pour le comte de Staufenberg. Au moyen de la magie de sa maîtresse, il réussit dans toutes ses entreprises. Au tournoi comme au champ de bataille il était toujours le vainqueur. Sa lance frappait toujours l'adversaire, son glaive ne manquait jamais le coup; et la gloire de ses armes fut grande dans le pays. Il n'était pas étonnant que mainte belle recherchât la faveur du beau comte qui toutefois demeura fidèle à sa nymphe. Or il arriva que l'empereur s'arrêtant dans les pays rhénans, y ordonna une grande fête. Les principaux chevaliers devaient y prendre part, par conséquent aussi le comte de Staufenberg. La taille élancée et le noble maintien du jeune homme attirèrent tous les regards et surtout ceux de la fille unique du souverain. Elle s'éprit d'amour pour le chevalier et ne cacha point à son père qu'elle devait être l'épouse du comte ou bien qu'elle ne se marierait jamais. Le monarque prit à cœur le vœu de sa fille, et chercha une circonstance favorable pour en instruire le comte. Les ouvertures étaient accompagnées d'offres si brillants, de promesses si flatteuses, que le chevalier ébloui avoua à son seigneur et empereur qu'il avait juré fidélité a une nymphe du Rhin, et que ce serment ne lui permettait pas d'épouser la fille de son noble souverain. L'empereur lui répondit qu'une alliance contractée un être pareil n'avait pas plus de valeur que les serments qu'il lui avait faits; que dans tous les cas l'évèque pouvait délivrer le comte, au cas qu'il renonçât à la fée, de toute peine et de toute suite de cette renonciation.
Séduit par l'ambition, le comte agréa l'offre impériale; les tendres caresses de l'amoureuse fille du monarque firent bientôt oublier au jeune homme tout ce dont la nymphe l'avait menacé; il était ivre de joie à la table nuptiale à côté de sa jeune épouse non moins belle, non moins heureuse que lui. Mais voilà que tout-à-coup, lorsque tous les assistants étaient pleins de gaîté et qu'un vivat unanime s'élevait en l'honneur du jeune couple, il se montra au mur vis-à vis de la table un pied féminin extrêmement beau et mignon qui, visible jusqu'au genou, avait traversé la muraille sans y laisser le moindre trace. On entendit en même temps dans tous les appartements voisins un ton plaintif soutenu et fendant le cœur.
A ce fatal augure, le comte pâlit. „Malheur à moi!" s'écria-t-il, „voilà la punition de mon infidélité, voilà le signe de ma mort prochaine!“ Frappé de démence, et comme poursuivi par les furies, il s'enfuit; trois jours après on le retrouva dans la forêt voisine; la foudre l'avait tué.
La malheureuse fiancée plongée dans la tristesse et dans le deuil, renonça au monde et termina ses jours dans un couvent.