Chaque samedi, dans [le] Bois aux Fées, on pouvait voir un homme qui, après avoir déposé ses habits sur un buisson, se « touillait » (roulait) dans la vase de la mare et ne tardait pas à en sortir transformé en loup. C'était le Loup-Garou (en picard Louerrou -- Loup-werrou) du Bois d'Orville. Le Loup-garou se rendait aussitôt à Orville ou à Thièvres, entrait on ne sait comment dans une bergerie et en enlevait un mouton qu'il emportait au Bois des Fées. Les sorcières, les fées et le Diable arrivaient, allumaient un grand feu de broussailles faisaient cuire le mouton, le dépeçaient et le mangeaient avec le loup-garou.
Un homme guetta un soir le loup-garou en se cachant dans un buisson, et le vit reprendre sa forme humaine aussitôt que les habitués du Sabbat se furent retirés.
Le loup-garou n'était autre qu'un paysan de Thièvres.
L'homme l'attendit à la sortie du bois et lui demanda pourquoi il se changeait ainsi en loup-garou.
« Voici bientôt dix ans, lui dit ce dernier, que je suis forcé de venir ici chaque samedi soir, me rouler dans la Mare aux Fées pour prendre la forme d'un loup et aller ainsi voler le mouton qui sert au souper du Sabbat. Je voudrais bien m'en empêcher, mais le diable est en moi quand l'heure de la réunion des sorcières approche et je suis poussé contre ma volonté à me faire loup-garou. Depuis dix ans, j'ai vu ici bien des choses horribles et j'ai appris bien des secrets. Je sais que pour me délivrer de la possession du diable, il te faudrait venir par exemple samedi prochain, auprès de la Mare aux Fées, t'armer d'un long sabre et le faire tourner rapidement au dessus de ta tête jusqu'à ce que tu sentes un choc quelconque. Je serai invisible auprès de toi, et si tu me blesses de ton sabre, la moindre goutte de sang qui s'écoulera de ma blessure me guérira de la possession du démon. »
Le paysan lui promit de remplir ces instructions à la lettre, et le samedi suivant il vint se placer dans un buisson près de la Mare aux Fées et attendit. Il vit arriver l'homme qui, après s'être changé en loup, était allé à Orville, puis les sorcières, les fées et le diable. On commença le repas. Bientôt le loup-garou sembla disparaître et le paysan fit tournoyer son sabre comme c'était convenu. Il ne tarda pas à frapper un corps dans l'air et le loup-garou tomba blessé sur le sol. Le Sabbat se termina aussitôt par la fuite des mégères et du diable, et le loup-garou, légèrement atteint, put revenir au village. Dès ce jour il fut délivré de la possession du démon, et les réunions du Sabbat dans le Bois aux Fées cessèrent.