Alors que saint Martin voyageait dans les Ardennes, il s'arrêta, un jour, à Haybes. Mais à peine avait-il eu le temps de s'y reposer, qu'on lui dit, — on n'a jamais trop su pourquoi : — Allez à Charleville chercher des bouteilles et des noix.

Il part donc avec deux grandes charrettes vides ; dans l'une il devait mettre les bouteilles vides et, dans l'autre, les noix.

Son chargement terminé, il se remet en route pour Haybes. Mais au moment même d'arriver, alors qu'il avait, avec son pesant attelage, atteint déjà le sommet de l'une de ces collines qui sont comme autant de contre-forts semblant défendre le village, voilà que se déchaîne un orage affreux. Le jour s'obscurcit et se fait nuit, les éclairs sillonnent le ciel, le tonnerre gronde et la pluie tombe à torrents. 

Effrayés, d'abord, les boeufs refusent d'avancer, puis, affolés, ils partent à fond de train, dégringolent du haut de la montagne, semant les noix et les bouteilles, et vont se noyer dans les profonds ravins qu'avait creusés la pluie.

Les bouteilles pulvérisées devinrent sable, et les noix, emportées au loin par les eaux, se changèrent en une forêt de noyers, aujourd'hui disparue, mais qui, pendant de longs siècles, fut un lieu de pèlerinage en l'honneur du saint. Pensant que cette catastrophe était un avertissement de la puissance céleste, saint Martin tomba à genoux sur une pierre et, sept ans, il y pria Dieu, pleurant ses bœufs, ses bouteilles et ses noix.

Et l'on voit encore, de nos jours, sur cette pierre célèbre dans le pays d'Haybes, l'empreinte faite par les genoux et les coudes du saint, et aussi la petite cavité creusée par ses larmes qui, nuit et jour pendant ces sept années, ne cessèrent de couler.