La légende du trésor de la grotte des aiguilles de Pelens [Saint-Martin-d'Entraunes / Alpes-Maritimes / France]

Publié le 30 mars 2025 Thématiques: Berger , Brigand , Cheval , Grotte , Invisibilité , Lieu cachant un trésor , Magie , Montagne , Richesse , Roi | Empereur , Trésor , Vol ,

Aiguilles de Pelens
Aiguilles de Pelens. Source guillaume soyonssport via Wikipedia
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Source: Chanal, Édouard / Contes et légendes du pays niçois (1895) (5 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Aiguilles de Pelens / Saint-Martin-d'Entraunes / Alpes-Maritimes / France

[...] — « Vous doutiez-vous, Monsieur, qu'un berger natif de ce canton fût un jour devenu roi de Lydie, dans les pays d'Orient?

« Allons, je reconnais à votre mine que la surprenante aventure de notre concitoyen n'est point encore parvenue jusqu'à vos oreilles !

« Je voudrais bien, pour l'honneur de la contrée, que mon héros n'eût pas eu plus de chance que de vertu. Mais il n'y a pas de patriotisme qui ait le droit de faire mentir L'histoire! C'est bien assez pour ma conscience que je sois réduit à taire un nom trop peu recommandable, sans doute, pour que la tradition orale ait jugé à propos de le conserver. Les faits n'en sont pas moins avérés et authentiques.

Je ne ferai pas observer à un Alpiniste que les Aiguilles de Pélens, dont les escarpements gigantesques commandent à l'Occident notre vallée, n'ont pas de rivales parmi les montagnes les plus majestueuses de la région ; mais, ce qu'il est permis à un étranger d'ignorer, c'est qu'elles renferment la plus belle grotte de nos Alpes où il y en a un si grand nombre d'intéressantes.

« Malheureusement, la grotte des Aiguilles de Pélens a le défaut grave d'être inaccessible !

« Du moins, elle passait encore pour telle, lorsqu'un berger, stimulé par je ne sais quel pressentiment, s'évertua si bien qu'à l'aide de ses genoux, de ses ongles, de ses dents, et aussi de certaine corde qui avait dû servir à quelque pendu, il vint à bout de grimper, mieux que ne l'eût fait un écureuil, jusqu'au trou noir aperçu d'en bas.

« L'homme était aussi fluet qu'audacieux, comme il appartient à un chercheur d'aventures, et, nonobstant, il ne put engager ses épaules dans l'ouverture étroite qu'après l'avoir élargie, à grand'peine, en mordant sur la pierre avec un caillou pointu dont il s'était muni par précaution.


« Quelle surprise, en revanche, pour un berger qui n'avait jamais rien vu, que de passer ensuite dans une vaste salle occupée par un cheval d'airain poli comme une glace, qui lui renvoyait son image à plaisir ! -

« Il est vrai que ce berger-ci, d'un naturel avide, se désolait déjà de ne pouvoir tirer dehors une trouvaille de cette dimension, ni même en emporter pièces ou morceaux impossibles à détacher !

« Il tournait donc tout à l'entour, poursuivi de sa grimace désappointée qui s'y réfléchissait obstinément et qui, pour être bien drôle, ne lui donnait pas la moindre envie de rire.

« Cependant, comme dans un mouvement de dépit, il saisissait la queue du monstre, il fit, sans s'y attendre, jouer certain ressort, et soudain la selle, d'un métal différent du reste, se sépara par le milieu.

— « Ah! ah! nous allons donc voir du nouveau! » — se dit-il, faisant claquer sa langue et se frottant les mains.

« Alors, avec son agilité ordinaire, il sauta sur la croupe de l'animal, qui était creux, ainsi que le célèbre cheval de Troie, et, se penchant pour explorer la cachette, se trouva nez à nez avec un buste d'homme coiffé d'une barrette de laine semblable à celle que portent les bergers pour se garantir des coups de soleil ou du serein.

—- « C'est toujours cela de gagné ! » — murmure l'explorateur en s'emparant du bonnet bien conservé, et il se laisse couler à terre, pressé de contempler sa bonne mine sous sa nouvelle coiffure, dans le miroir d'airain.

« Mais il a beau s'écarquiller les yeux, le miroir se refuse à la reproduire !

« Furieux, il jette bas le malencontreux bonnet, et il se revoit des pieds à la tête ; il se recoiffe d'une certaine façon et reste visible ; puis sens devant derrière, et voilà de nouveau qu'il n'y a plus personne !

« Le mystère ne tarda pas à s'éclaircir. Parmi les mailles de la laine épaisse était comme enchâssé un bouton de cristal de roche, dont la vertu magique ne s'exerçait qu'à la condition de reposer sur l'occiput du porte-barrette.

« Plus de vingt fois, il se donna le divertissement de paraître et de disparaître à son gré, fou de joie, dansant des entrechats et improvisant une chanson de circonstance :
Ta fortune est faite,
O chanceux berger !
Mets-toi dans la tête
Que tout va changer !

« De retour à Saint-Martin, pour faire, dès le soir même, l'épreuve de son pouvoir nouveau, il se mêla aux groupes de villageois des deux sexes qui devisaient sur le seuil de leur porte, et, sans être aperçu d'âme qui vive, il fut à même de surprendre plus d'une confidence réjouissante.

« En revanche, il lui fut donné également d'entendre parler de lui sur un ton qui ne chatouillait qu'à demi son amour-propre, lui prouvant trop que ses concitoyens ne soupçonnaient pas ses mérites.

— « Ah ! manants, il vous en cuira de déprécier un magicien ! » — grommela-t-il entre ses dents.

« En effet, dans la matinée du lendemain, le propriétaire d'un poulain de trois ans vit avec stupéfaction l'animal galoper sur la route de Villeneuve, non pas comme un jeune fou, ivre de sainfoin, qui gambade à tort et à travers, mais avec l'allure régulière qu'impose à sa monture un cavalier expérimenté et chargé de quelque pressant message : seulement, le cavalier faisait défaut.

« Une autre fois, c'était un attelage de bœufs choisis qui remontaient sans rime ni raison le Col des Champs, devers la Provence, obéissant de même à l'aiguillon d'un conducteur invisible; enfin, des troupeaux entiers de moutons gras, qui s'esquivaient avant le jour, sans dire pourquoi.


« Les absences simultanées du berger à la barrette dénonçaient tout au moins sa complicité dans ces brigandages mystérieux, d'autant qu'il ne rentrait de voyage au logis, que la bourse gonflée de sequins ou ducats d'or. La difficulté était de le prendre sur le fait; naturellement, on n'y parvint pas.

« On se contenta de lui tourner le dos, et bien s'en trouva t-on, car il se lassa de rencontrer, à chaque maison, visage de bois et de se marmotter le vieux proverbe :

« Saint n'est pas révéré où on l'a vu marmot ! »

« Il disparut donc un beau matin, en même temps qu'une superbe mule qu'un voyageur de Péone, la patrie des mulets de prix, avait eu l'imprudence de remiser en plein air, attachée seulement à un anneau, derrière l'église.

Qui fera, désormais, le compte des méfaits du voleur impunissable, déguisé en pèlerin curieux de connaître les cités et les hommes? Il s'en donne à cœur joie, de parcourir le monde, pour mettre à sac les trésors les mieux gardés, aujourd'hui les devantures des joailliers de Nice, d'Aix en Provence ou d'Avignon, demain les tabernacles des opulentes cathédrales de Maguelonne, de Narbonne ou de Carcassonne; enfin les coffres-forts des marchands levantins, à la foire de Beaucaire, où il ne laisse plus que les baïoques de cuivre, tant et si bien que, ne sachant que faire de ses immenses richesses, il a un moment l'intention de briguer la couronne du Saint-Empire romain.

« Mais un prince de la chrétienté ne peut être sacré qu'en état de grâce, et notre compatriote, riche seulement du bien d'autrui, ne voulait ni ne pouvait se mettre en mesure de recevoir l'absolution.

« C'est alors qu'à défaut de mieux, se voyant riche comme Crésus, il acheta la royauté de la Lydie, parmi les rivages soumis aux Infidèles.


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