Le pays de Gérardmer a été de tous temps le séjour de prédilection des fées, des sotrés et des elfes. Les sombres forêts de sapins cachaient leurs folâtres ébats et les mettaient à l’abri des curieux et des indiscrets. Les roches escarpées et les grottes profondes leur fournissaient des abris où ils élisaient domicile. Quant au lac, ses eaux ont toujours donné refuge à des ondines, que l’on voyait se baigner la nuit aux reflets moirés de la lune sur les vagues.
De toutes les fées qui vivaient dans les environs de Gérardmer, Polybotte était la plus puissante et la plus redoutée. Elle habitait la montagne de Nayemont, dans une grotte, au cœur de la forêt de Martimpré. Elle avait mauvaise réputation, car sa méchanceté s’était exercée à plusieurs reprises aux dépens des paisibles Gérômois. Sa laideur physique était proverbiale. Aussi était-il rare qu’un habitant, à la recherche de bois mort, osât se hasarder dans les parages de la grotte qui était, affirmait-on, le vestibule de son palais.
Or un jour, un noble chevalier qui accompagnait le duc de Lorraine à une chasse à l’ours dans les environs de Gérardmer, s’égara dans l’immense forêt. À la nuit tombante, fatigué, son cheval fourbu, il avisa une anfractuosité de roc qui lui sembla un abri suffisant pour passer la nuit. Il décida donc de s’y reposer, avant de rejoindre ses compagnons, le lendemain. Mais c’était la grotte de la redoutable fée Polybotte.
À peine le chevalier en avait-il franchi le seuil, qu’il se vit soudain enveloppé d’une éblouissante clarté. Dans le fond de la grotte, les rochers semblaient s’entr’ouvrir sur une salle immense, aux resplendissants murs de cristal. Le sol était recouvert d’un gazon coupé ras, où l’on apercevait des fleurs splendides, qui embaumaient l’air d’un parfum capiteux, ensorcelant. Une musique vaporeuse, irréelle, paraissait jaillir des profondeurs de l’antre, sans que l’on pût distinguer les musiciens.
Surpris, le chevalier s’arrêta et, se passant la main sur les yeux :
— Par le Diable et par l’Enfer, s’écria-t-il, je ne rêve pas ! Où suis-je donc ?
Mais il était très brave et, résolument, il s’avança.
Alors, il vit venir à lui, du milieu de la salle, une vieille dame, de haute taille ; sa tête ridée était ornée d’un diadème doré, serti de diamants et de pierres précieuses : rubis, opales, émeraudes, qui jetaient des feux étincelants. Une douzaine de nains la suivaient, portant sa longue traîne blanche. Deux elfes aux gestes harmonieux complétaient le cortège. C’était la fée Polybotte elle-même.
— Beau chevalier, dit-elle aussitôt d’une voix douce, soyez le bienvenu en mon domaine. Vous êtes mon hôte, et mon palais vous sera un gîte plus agréable que la roche dure. Entrez.
Le chevalier accepta. Son courage se piqua d’honneur. Il se réjouit de vivre une aventure merveilleuse, qu’il pourrait ensuite raconter à ses compagnons d’armes. Car c’était sa première rencontre avec une fée.
Polybotte lui indiqua un lit de gazon fleuri, où il s’étendit sans aucune crainte. Elle-même prit place en face de lui. Puis, elle fit apporter par ses nains des mets succulents, des boissons délicieuses, comme l’étaient sans doute le nectar et l’ambroisie des dieux. Les elfes dansaient en rondes voluptueuses, aux accords d’une musique enivrante.
Mais les heures passaient vite. La fée déployait tous les trésors de son esprit pour ranimer la conversation et charmer son hôte. Ses yeux brillaient d’une flamme extraordinaire et se fixaient avec insistance sur le visage du chevalier. Son cœur se troublait, car l’amour y était né.
Le chevalier se sentit soudain très mal à l’aise. Malgré son prestige et sa gentillesse apparente, la fée n’avait aucun charme, et tout le fard dont elle avait enduit son visage ne parvenait pas à en masquer les rides et la laideur. Au surplus, le chevalier ne tenait pas à manquer à la fidélité jurée à son épouse.
Mais Polybotte, tout à fait éprise, croyant son pouvoir irrésistible, résolut de lui révéler son amour.
— Noble chevalier, dit-elle, l’aube va bientôt poindre derrière les grands sapins. Votre départ m’attriste, car en dépit de ma puissance, je suis bien seule et je m’ennuie souvent dans ce palais. Restez avec moi. Tous vos vœux seront exaucés, si vous consentez seulement à me donner un peu d’amour.
— Noble dame, répondit le chevalier, c’est un merveilleux rêve que le hasard m’a donné de vivre dans votre auguste demeure. Mais je ne puis rester chez vous. Ma femme m’attend dans mon château, et mes compagnons d’armes m’accuseraient de trahison si je les abandonnais.
— Comment, insista la fée ; la vie rude que vous menez a-t-elle donc pour vous tant de charmes, pour refuser une offre généreuse ? Celle que vous mèneriez ici ne peut lui être comparée, puisque tous vos désirs seraient satisfaits.
— Hélas, reprit-il, je suis obligé de m’arracher à votre divin séjour. Mais je demeure à jamais votre serviteur dévoué.
— Va, dit alors la fée, et ses traits se durcirent soudain, avec une grimace de haine qui soulignait encore davantage la laideur de son visage. Va-t-en, puisque tu le veux ainsi ! Mais, prends garde ! La bise du matin est glaciale en cette saison !
Alors, le chevalier se leva et voulut s’enfuir. Mais au moment où il allait sortir de la grotte, un énorme bloc de glace se détacha de la paroi rocheuse et l’enveloppa tout entier, le transformant pour toujours en glaçon.
Ainsi Polybotte se vengea-t-elle de l’affront que lui avait infligé le vaillant chevalier.
Aujourd’hui encore, quand le promeneur avide de paysages romantiques s’aventure dans ces endroits enchantés, il peut voir, dans la fente de Kertoff, de la glace à n’importe quelle saison de l’année.
C’est le bloc de glace que jeta jadis la fée sur le chevalier, et qui ne peut pas fondre, parce que la fée Polybotte l’a voulu ainsi.