Voici, sur un rocher, près de Bruyères, un humble clocher roman. Comme la basilique de Saint-Nicolas, cette humble église de Champ-le-Duc a sa légende.
Mais, moins favorisée que tant d'autres églises lorraines, elle attend toujours sa chanson.
Elle est née d'un baiser de Charlemagne.
Dans une des chasses qu'il menait volontiers jusqu'à l'eau bleue de Gérardmer, jusqu'à l'eau verte de Longemer, jusqu'à l'eau sombre de Retournemer, l'empereur à la barbe fleurie, s'étant lancé à la poursuite d'un cerf, se trouva, vers le soir, loin de son fils Louis et de ses autres compagnons. Il s'assit sur les bruyères délicates du rocher le plus rose, et il attendit.
Peut-être aurait-il pu faire entendre un signal, puisqu'il avait son oliphant à son côté. Mais il voulait être retrouvé sans nulle intervention. La nuit venait. A peine si une dernière lueur cuivrée, rabattue par l'écran d'un nuage lourd de pluie, illuminait encore le rocher, l'or festonné de l'oliphant et l'épée en forme de croix. En dépit de son cœur, Charles allait appeler. Tout à coup, il entendit un pas étouffé sur la mousse.
— Mon père ! Vous ici !
Charles tendit les bras. Lui qui avait connu d'autres absences dans l'horreur des guerres et dans le frisson de la mort goûta pourtant cette rencontre avec un transport qui l'étonna. Sur le front un peu humide de son fils, il mit un baiser qui fut si prompt, si paternel, si heureux, que la saveur en descendit jusqu'à la poitrine qui palpita. Les montagnes lui semblèrent plus fières et plus délicieuses ; la verdure déploya une intensité obscure et caressante: le suprême rayon, sur la roche aux bruyères, dessinait exactement le plan d'une chapelle.
— Ainsi soit-il ! dit Charles le Grand.