La marquise de Sénas était jeune, fraîche et jolie comme la grosse Catherine, vous savez, vivandière qui servit un jour la goutte à l'Empereur altéré par la fumée du canon de Leipsick.
Mieux que cela, elle était aimée à l'adoration par son mari; mieux encore peut-être, elle était riche, mes anciens! riche comme la Christine reine d'Espagne, mise à cette heure à la réforme par un régent qu'on nomme, je crois, Espartéro ; vous le savez, amis, la mort est comme un boulet de canon, elle n'épargne personne, pas plus jeune et jolie femme que laid et vieux soldat. Un soir elle vint rendre visite à la pauvre marquise qui ne l'attendait guère : la mort se fait rarement annoncer, c'est tout comme le boulet de canon.
Une heure après, tout fut dit. Les cloches de la Madeleine sonnèrent toute la journée le glas que l'on donne à l'argent des riches; l'église se mit en deuil des pieds à la tête, et le lendemain à dix heures du matin, après une grande messe solennelle, la pierre d'un caveau funèbre se referma sur un cercueil.
Le sacristain de Sainte-Madeleine était bien l'homme le plus intéressé de toute sa paroisse ; il aurait vendu la peau de son ventre pour en faire un tambour, si elle n'eût pas été trop dure à tanner, et si le maître de musique du régiment lui en eût offert un bon prix.
Le susdit sacristain avait remarqué, en ensevelissant la belle trépassée, un fort beau diamant qu'on avait oublié à son doigt.
Formant aussitôt et arrêtant son plan de campagne, il attendit avec impatience la venue du soir.
Jamais journée ne lui parut plus longue.
A minuit, à cette heure solennelle où les esprits reviennent, dit-on, parfois, il prit une lanterne sourde et pénétra mystérieusement dans l'église par une porte latérale dont lui seul avait la clef.
La cupidité prête des forces à l'avarice. En moins d'un instant il souleva la pierre du tombeau; alors, un sourire de joie a parcouru ses lèvres, il a reconnu le cercueil descendu le matin, et ses mains impies ont brisé les planches qui recouvraient un cadavre. La marquise de Sénas était si belle encore, malgré la pâleur de la mort, qu'on l'aurait cru plongée dans un profond sommeil. Le sacristain a pris sa main, le riche diamant brille dans la sienne, mais comment l'arracher au doigt de la morte? ce doigt est tellement enflé que la bague s'est incrustée dans les chairs. N'importe, le sacristain ne s'arrêtera pas en route, le premier pas est fait. En toutes choses, vous le savez, anciens, le premier pas est le plus difficile, les autres ne sont rien.
Le profanateur des tombeaux, ne renoncera pas à son projet impie, vous disais-je; en effet, armé d'un couteau, il s'empare du doigt et lui fait une profonde incision; mais quel cri, mon Dieu ! Ah !... les morts reviennent donc, parfois ?
Voyez le pillard, comme il se sauve; on dirait un cavalier autrichien ou bien un cosaque surpris par un paysan français. Voyez encore: le froid de l'acier, la douleur de la blessure ont réveillé la marquise de Sénas, elle s'est levée de son cercueil, et, rejetant loin d'elle le suaire que le sacristain a coupé, elle s'élance hors l'église par les portes que dans sa frayeur il a laissées ouvertes.
A la lueur des lampes qui jettent une auréole de feu au front des madones, elle marche rapidement; les morts reviennent donc parfois, mes anciens? Oh! si l'Empereur pouvait...
Elle a frappé trois coups à la porte de son hôtel, mais tous ses domestiques sont couchés, ils dorment; un homme seul veille en larmes dans la chambre vide de la marquise, c'est le marquis de Sénas; trois nouveaux coups retentissent à son cœur et le glacent d'effroi.
Il prend une lampe, descend, ouvre et tombe raide mort aux pieds de la morte qui lui revenait pleine de vie..... voilà!