La légende de l'origine de l'ensablement de la baie de Somme [Saint-Valery-sur-Somme / Somme / France]

Publié le 16 juin 2025 Thématiques: Ermite , Légende chrétienne , Mer , Miracle , Origine , Prière , Saint | Sainte , Saint Valery , Tempête ,

Le sable de la Baie de Somme
Le sable de la Baie de Somme. Source Chabe01, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons
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Source: Bout, Antonie / Notre ancienne Picardie, contribution au folk-lore régional (1911) (3 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Baie de Somme / Saint-Valery-sur-Somme / Somme / France

[...] Saint-Valéry était Leucone [...] et ses habitants, sous l’égide de leur glorieux patron, comprenaient encore que la mer est pour un pays une source de richesse qu’il faut savoir se ménager.

Seulement la mer est aussi mauvaise que généreuse et dans ses caprices, elle peut reprendre ce qu’elle a donné, quoique de nos jours les conditions aient un peu changé, l’homme étant parvenu à soumettre les éléments.

La mer, dis-je, battait quelquefois avec fureur la falaise crayeuse de Leucone. Elle l’escaladait même, et c’était un terrible assaut que le sien, une lutte où les assiégés défendaient vainement avec l’énergie du désespoir leurs misérables et fragiles cabanes. Elles ne résistaient point à la violence des lames et le « sauve qui peut » était toujours la seule et unique ressource des combattants, heureux encore quand ils pouvaient se sauver tous !

Dans une de ces circonstances épouvantables, on vit non seulement la mer envahir la butte de Leucone, mais encore la Somme subitement grossie, menacer de couper par son inondation les derniers passages pouvant servir à la retraite. Devant ce double fléau, tout effort humain devenait impuissant, toute tentative de fuite inutile : les hommes étaient irrévocablement voués à la mort.

Superstitieux avant tout, ils s’adressèrent d’abord aux idoles, mais elles différaient leurs secours, et comme le danger allait croissant, on ne pouvait attendre le bon vouloir des dieux. Alors, une idée qui n’était pas encore bien enracinée dans les esprits — celle d’un être suprême et infini qui dispose à son gré de toutes choses — se présenta à ces pauvres condamnés comme une véritable planche de salut, fis songèrent à Vallery dont l’intercession devait être plus puissante que la leur, à ce pasteur toujours bienveillant qu’ils avaient oublié dans leur effroi et que peut-être les flots avaient déjà englouti. Aussitôt la compassion, comme un baume bienfaisant, rentra dans leurs âmes un instant aveuglées par l’égoïsme, et ils oublièrent leur propre péril pour se précipiter à l’hermitage.

La colère d’en haut qui s’appesantit sur les méchants mais épargne les justes venait probablement de fondre sur Leucone sous la forme des éléments déchaînés, car, nouveau Noé, le serviteur de Dieu n’avait pas encore été atteint. A genoux dans sa cellule, résigné et priant, il attendait la suite des événements avec une expression de sérénité parfaite. A sa vue, les pêcheurs stupéfaits s’arrêtèrent et quelques-uns même crurent voir briller autour de lui un cercle lumineux qui l’isolait en quelque sorte du danger.

Mais le saint, dont les invocations montaient déjà au ciel pour eux, se releva aussitôt et sa pitié s’accrut au récit de leur détresse. Rassemblant toute la compassion de son cœur dans une suprême et pressante prière, il sortit aussitôt de l’hermitage.

Le spectacle qui s’offrit à ses regards était poignant : les deux courants s’étaient rejoints, l’eau envahissait maintenant le sommet de la montagne. Çà et là, flottaient des épaves où s’accrochait quelque silhouette humaine. Encore un instant et la falaise minée s’écroulait, entraînant dans l’abîme les derniers vestiges de Leucone.

Alors, pris d’une soudaine confiance dans son intervention, Vallery éleva la voix au milieu du tumulte des flots.
— « Fleuve et mer déchainés, dit-il, au nom du Dieu dont je suis l’apôtre, quel tribut vous faut-il, pour apaiser votre fureur et mettre un terme à votre envahissement ? »

Aussitôt tous les bruits de la nature cessèrent à la fois, et dans le silence de cette accalmie, on entendit ces mots :
— « La mer se retirera lentement et le fleuve ne sera jamais esclave ! »

Dans le bouleversement de leur émotion, Vallery et ses compagnons ne comprirent point le véritable sens de cette parabole, et imprudents, ils ratifièrent d’un signe d’assentiment le traité qui devait être dans l’avenir une cause de dépérissement pour Leucone. Mais sur l’heure fut conjuré l’assouvissement de la vengeance céleste. [..]


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