Les moines de Dünwald habitaient un couvent entouré de vastes propriétés; quoique fort riches, ils cherchaient encore par toutes les voies et par tous les moyens à agrandir leur domaine. Satisfaire leur goût du luxe et de la mollesse, voilà le but constant de leurs efforts.
Un jour l'idée leur vint de s'approprier un champ de plus de cent arpents que possédait non loin de là leur voisin le gentilhomme de Schlebusch. Les prétextes ne leur manquaient pas plus que les vieux parchemins au moyen desquels ils tâchaient d'établir leurs prétendus droits.
Le gentilhomme était d'autant moins disposé à reconnaître ces droits que, de temps immémorial, ce terrain avait été la propriété incontestée de ses ancêtres. Il se croyait donc obligé de s'opposer de toutes les manières aux exigences illégales de ces avides moines. La cause devait être décidée par les tribunaux. Par malheur les juges d'alors craignant pour eux-mêmes les suites de l'influence du pouvoir monacal, n'osaient prononcer un arrêt décisif; ils préféraient traîner le procès en longueur. Nul n'en pouvait prévoir la fin.
Le gentilhomme tourmenté de toutes les façons imaginables par ses puissants adversaires, menacé de ban et d’excommunication, leur fit un jour savoir, qu'il n'était pas éloigné de terminer les longs débats par l'abandon des terrains contestés; il n'y mettait qu'une seule condition, savoir, qu'il lui fût permis d'ensemencer encore une fois le champ en question, et de disposer du produit lors de sa maturité.
Les moines enchantés de ce résultat n'hésitèrent pas. Aussitôt un acte concis et bien conditionné fut dressé, et soumis à toutes les formalités requises. Les semences furent confiées au sein de la terre, Le printemps venu, les moines dans l'heureuse attente d'une prompte prise de possession, viennent, pleins de curiosité, examiner de quelle nature sera la dernière récolte que pense faire le gentilhomme. Il ne se montrait germe de froment, ni de seigle, d'orge ni d'aucun autre grain; ça et là on voyait seulement poindre quelques jeunes pousses aux feuilles délicates. Les moines ont d'abord de la peine à reconnaître cette espèce de plantes; mais bientôt ils découvrent avec effroi que ce sont de jeunes chênes.
Le gentilhomme s'était ainsi joué de l'avidité des moines à la grande joie des amis de la justice. Les jeunes pousses devinrent peu à peu des tiges élancées. Lorsque les cimes des chênes dépassèrent les toits du couvent, les moines dormaient depuis longtemps du sommeil éternel. Les hautes murailles du couvent n'étaient plus que ruines et poussière, lorsque les troncs majestueux disparurent de la forêt.