A l'époque où Engelbert de Falkenbourg était archevêque de Cologne, les dissentiments entre ce prince ecclésiastique et la ville avaient atteint le dernier degré d'exaspération. D'un côté c'étaient les efforts puissants et opiniâtres agissant dans le but de faire courber les citoyens rebelles sous un joug détesté; de l'autre une résistance obstinée et énergique maintenant les droits bien acquis de la cité et ignorant toute condescendance. La haine ne pouvait donc manquer de prendre le dessus; aussi chacun des deux partis s'emparait-il de la première occasion pour nuire à l'autre et pour le perdre.
L'archevêque s'efforça dès le commencement de son règne, de soumettre la ville à sa volonté. A cette fin il fit construire entr'autres le Bayenthurm, forteresse entourée de fortes murailles et de créneaux; les vaillants citoyens toutefois ne s'en effrayèrent point; bientôt après ils prirent d'assaut le fort et en chassèrent les soldats ennemis.
Parmi les bourgmestres de Cologne qui, dans ces temps de trouble, s'étaient particulièrement chargés de la défense des droits de cette ville industrielle et puissante, brillaient en première ligne ceux de l'illustre famille Overstolz et non moins qu'eux le célèbre Hermann Gryn, descendant d'une ancienne famille colonaise. L'opposition énergique de ce champion contre les plans tant publics que secrets de l'évêque, lui attira la haine du chapitre et de sa séquelle. Aucune intrigue ne fut épargnée pour l'emporter sur cet homme loyal, et toutes les tentatives étant demeurées vaines, on conçut un plan infernal pour le perdre.
Deux chanoines, sous le manteau d'une feinte amitié, cherchèrent à s'insinuer dans les bonnes grâces du bourgmestre. Ils ne réussirent que trop bien auprès de cet homme simple et droit. Ils trouvaient mille prétextes pour se mettre en relations avec lui, jusqu'au moment où ils crurent leur plan assez mûr pour être exécuté.
Le chevalier Hermann reçut un jour l'invitation de ses prétendus amis de se rendre à un festin qui se donnait au chapitre. Il s'y rendit à l'heure indiquée, et comme aucun des convives prétendument attendus n'était arrivé, l'un des chanoines fit la proposition d'aller visiter, en attendant, les appartements de l'immense archevêché peu connus à cette époque. Gryn se laissa conduire par ses hôtes. Il avait déjà examiné plusieurs pièces, lorsqu'à l'extrémité d'une allée, une porte fut ouverte. Sur l'invitation des chanoines, cet homme sans défiance entra dans une chambre assez sombre. A peine y fut-il, que la lourde porte se ferma sur lui, et il entendit pousser les verrous. En même temps un énorme lion bondit en rugissant d'un des angles de l'appartement, fixant sur lui ses regards de feu.
A cet aspect inattendu le bourgmestre fut d'abord déconcerté, mais un moment de réflexion lui rendit toute sa présence d'esprit. Il vit clairement le piège que lui avaient tendu ses ennemis et le danger qu'il courait. Par un mouvement rapide, il entoura son bras gauche de son manteau, s'adossa contre le mur, et tira son épée du fourreau. Au moment où le lion excité par un jeûne de plusieurs jours s'élança impétueusement sur le chevalier, celui-ci lui enfonça dans la gueule béante son bras enveloppé, tandis que la pointe de son épée pénétra profondément dans la poitrine du monstre. Au bout de quelques secondes le lion avait cessé de vivre. Les traîtres ne doutant aucunement de la réussite de leurs forfaits, s'étaient mis immédiatement à faire grand bruit. Avec une feinte anxiété ils appelaient du monde au secours du bourgmestre attaqué par le lion de l'archevêque. A leurs cris une foule de monde se rassembla; la porte de l'appartement fut enfoncée. Au grand étonnement de la multitude et à sa grande joie, on trouva le chef de la ville sain et sauf, et l'animal inanimé à ses pieds. Mais au milieu des transports de la foule les traîtres pâlirent. Le bourgmestre venait de dévoiler leur forfait. Ils n'eurent pas le temps de fuir. Le peuple furieux, sans nul égard à leur état, se saisit d'eux et les pendit sans autre forme de procès près de l'archevêché, à l'endroit où se trouvait une porte qui dès lors prit le nom de Pfaffenthor (Porte aux moines).
L'exploit de Gryn, que les citoyens de Cologne se rappellent toujours avec fierté, se voit encore de nos jours sculpté en bas-reliefs sur le portail de l'hôtel de la ville de Cologne.