Charlemagne qui avait l'habitude d'établir sa résidence tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre point de son immense empire, tenait un jour sa cour à Zürich, près de rives enchanteresses du lac dont les beautés naturelles ravissent et attachent le voyageur. Le monarque, ami de la justice et accessible à tous ses sujets, avait fait dresser, non loin de son palais, sur la rive escarpée, à l'endroit où jadis furent décapités les deux martyrs Félix et Regula, une colonne portant une petite cloche.
Quiconque désirait une audience de l'empereur, n'avait qu'à sonner la clochette à l'heure de midi, et aussitôt paraissait le monarque en personne, pour écouter avec condescendance les plaintes et les représentations de ses sujets. La décision ne se faisait point attendre.
Un jour la cloche tintait sans que l'on trouvât quelqu'un sur la place. Même chose eut lieu le lendemain et l'empereur ordonna en conséquence à un page de se cacher le jour suivant à proximité de la colonne, afin de découvrir la cause du tintement. Le page n'était pas peu effrayé de voir un grand serpent sortir d'une caverne riveraine. Son étonnement fut au comble, quand il vit que le reptile mettait la cloche en branle. A l'instant on en informa Charlemagne qui se trouvait précisément à table. Il se leva incontinent pour se rendre auprès du serpent. „Quiconque, animal ou homme, me demande justice, justice lui sera rendue,“ dit-il. Le serpent apercevant l'empereur, s'inclina trois fois devant lui, puis il se retira tranquillement dans sa caverne. L'empereur et toute sa suite suivirent le reptile, désireux qu'ils étaient de découvrir le motif de sa démarche. A l'entrée de la caverne on vit étendu un énorme crapaud. On aurait dit que le serpent désirait être débarrassé de cet hôte qui lui barrait le passage. Le monarque, pour rendre la justice à qui de droit, fit aussitôt prendre et tuer le crapaud.
Quelques jours après cet évènement remarquable, le serpent, au grand étonnement des personnes présentes, entra dans la salle-à-manger de l'empereur à l'heure du dîner. Après s'être trois fois incliné respectueusement, le serpent se dirigea vers une coupe placée devant le monarque, il y laissa tomber une pierre fine d'une grosseur et d'une beauté rare. Il disparut avant que l'empereur et ses convives fussent revenus de leur surprise.
Charles fit présent de la pierre à son épouse qui prit l'habitude de la porter comme ornement de chevelure. Ce bijou avait la propriété merveilleuse de communiquer à la personne qui le portait, la faveur impériale toute entière et sans partage. Aussi dès ce moment, le monarque était dévoué à son épouse avec un amour tel qu'il ne pouvait plus la quitter.
L'impératrice ne fut pas longtemps sans deviner la cause de l'affection plus grande de son époux, aussi ne se séparait-elle plus de la pierre précieuse. Sentant, dans sa dernière maladie, la mort approcher, elle craignit que le bijou ne passât à des personnes indignes de l'amour de l'empereur; elle le cacha à cet effet sous sa langue, où il resta après qu'elle fut morte.
L'attachement de Charlemagne ne diminuait pas, quoique l'épouse fût morte. Le corps fut embaumé et dut accompagner l'empereur dans tous ses voyages. Une tendresse aussi surprenante éveilla enfin le soupçon dans l'esprit de l'archévèque Turpin, compagnon du monarque. Celui-ci pensa que des choses surnaturelles étaient ici en jeu. A cette fin le prélat profita d'une occasion favorable, et fit sur le cadavre les recherches nécessaires pour découvrir un talisman, et finit par trouver la pierre merveilleuse. Il s'en empara aussitôt, et comme dès lors, il le portait toujours sur lui, l'amour de l'empereur passa de la défunte épouse sur l'archévèque. Charlemagne fit alors enterrer l'impératrice avec toute la pompe en usage à cette époque. L'empereur voua dès lors un attachement tel à l'archévèque, que celui-ci ne pouvait plus s'éloigner et fut bientôt las d'une tendresse aussi importune.
Pendant un voyage à travers l'Allemagne occidentale, l'archévèque, dans un accès d'ennui de cet attachement gênant, se débarrassa du talisman en le jetant dans une source où il fut impossible de le retrouver. Mais le charme ne continuait pas moins, et lorsque Turpin n'était plus l'objet de la faveur impériale, ce fut la contrée qui recelait la merveilleuse pierre. Aussi dès ce moment, Charlemagne se sentit un tel attachement pour ce lieu, qu'il y fit bâtir un palais et fonder une ville.
Cette ville est Aix-la-Chapelle, la cathédrale y est pleine de souvenirs du grand empereur. Mais les eaux limpides et tranquilles des belles prairies charmèrent surtout le monarque, c'étaient elles qui recelaient le talisman que l'archévèque y avait lancé. Charlemagne y restait des heures entières absorbé dans une douce mélancolie. Ses regards plongeaient sans cesse dans le cristal du charmant petit lac.
La croyance populaire attribue à ce charme les cures merveilleuses qu'opèrent les sources chaudes d'Aix-la-Chapelle, dont les eaux s'échappent du sein de la terre pour le bien-être de l'humanité.