Au temps de la chevalerie, dans l'opulent manoir de Rasne, au milieu de la forêt d'Andaine, en Normandie, vivait un jeune chevalier, insensible jusqu'alors aux plaisirs pour lesquels ses amis combattaient dans les tournois. Il aimait la chasse et ne quittait que rarement l'enceinte du château, qu'entourait la majestueuse forêt. Un soir, le beffroi sonnait sept heures. C'était en hiver; Raoul allait se livrer au repos, quand le bruit du cor l'étonne et l'éveille. Il selle son cheval, s'élance dans la forêt et se trouve bientôt au milieu d'une chasse que conduisait une grande dame, accompagnée de vingt autres montées toutes sur des coursiers blancs. Elles poursuivaient un cerf; soudain, la dame suzeraine ou reine, voyant frémir le bel animal à qui les approches de la mort font verser des larmes, le protége de son bras levé et lui sauve la vie. Raoul, cloué à sa place par la surprise, reprend pourtant ses sens, et s'avançant vers Andaine (c'est le nom de la reine des fées), lui dit avec courtoisie qu'elle peut à son gré chasser dans ses domaines, pourvu qu'elle lui permette de courir à ses côtés. Andaine rougit et répond que pour cette fois la chasse est terminée, mais que, dans une année, elle reviendra à la même heure.
Un an se passa; sept heures sonnaient... Raoul se dirige au centre du bois: Andaine l'attendait, Andaine qu'il allait nommer son épouse. Andaine mit à ce contrat une condition: Si jamais, lui dit-elle, vous parlez de la mort devant moi, je disparais aussitôt.
Sept ans passèrent. Le beffroi de la tour sonnait sept heures. Il y avait fête au château de Rasne; Raoul recevait les invités, car Andaine achevait sa parure. Ses deux enfants jouaient près d'elle; Raoul envoya un page la prier de se hâter. Elle ne se pressa guère plus, la fée malicieuse, et lissa ses tresses noires mêlées de perles blondes.
Enfin Raoul vint lui-même la chercher et s'écria en riant: En vérité, madame, quand mon heure sera venue, on pourra vous envoyer querir la mort, avec espoir qu'elle m'accordera un long délai.
Pendant que ces derniers mots tombaient de ses lèvres; le bruit de deux ailes le frappe d'épouvante; Andaine a saisi ses deux enfants; elle les enlève et s'envole par la haute fenêtre en jetant un dernier regard à Raoul, qui lui tend vainement les bras.
On ajoute qu'on a vu longtemps sur cette fenêtre l'empreinte du pied de la fée, que Raoul lui survécut peu et que nul depuis n'a osé habiter la chambre d'Andaine.