Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres !
Pour obtenir une aussi puissante protection, que les jeunes filles de la Flandre aillent en pèlerinage à l'église de Notre-Dame de Grâce, cette magnifique cathédrale, avec ses neuf portes et son clocher à claire-voie, son clocher qui montre autant de fenêtres qu'il y a de jours dans l'année. Qu'elles s'agenouillent devant le miraculeux portrait peint de la main de saint Luc; qu'elles allument des cierges aux chandeliers d'or qui entourent la châsse d'or, et qu'elles répètent, en tournant dans leurs doigts les perles du rosaire :
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres!
Que serait devenue, sans la protection de Notre-Dame de Grâce, la jeune comtesse Berthe de Troisvilles? Mais sa mère, pieuse et sainte dame, l'avait élevée dans la dévotion de la Vierge immaculée : ni les pièges du mauvais esprit, ni les plus rudes coups du sort ne purent jamais la faire pécher, ne purent jamais ôter de son cœur le don céleste qui soutient et console au milieu des pénibles épreuves et des cruelles infortunes: l'espérance.
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres!
Le comte Engelbald de Troisvilles s'en était allé depuis trois jours à un grand tournoi que donnait, auprès d'Arras, le baron de Moronval: il devait revenir le jour de la fête de saint Thaddée, et sa femme, sa fille et ses deux petits garçons regardaient du haut de la tour la plus élevée s'il ne verraient point reluire aux rayons du soleil couchant, et parmi un tourbillon de poussière, les casques d'acier et les lances des hommes d'armes du comte de Troisvilles. « Monseigneur mon père ne revient pas! Mon Dieu! ma mère, lui serait-il advenu quelque fâcheux accident? Que Notre-Dame de Grâce protège mon père! »
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres!...
« Le voici le voici! j'aperçois un tourbillon de poussière; j'aperçois les casques et les fers des lances qui reluisent aux rayons du soleil couchant; j'aperçois la bannière de Troisvilles dans les plis de laquelle se joue le vent impétueux du nord. - Monseigneur mon père ! monseigneur mon père! voici monseigneur mon père! Pourquoi donc marchent-ils avec cette lenteur? Quel est ce chevalier qui se tient à ses côtés, et dont le destrier marche pas à pas avec le destrier de monseigneur mon père? Mes yeux ne me trompent-ils point? C'est le chevalier de Saint-Pithon, son ennemi mortel depuis six ans, et le père de sire Arnulphe, avec lequel j'ai passé mon enfance. Que signifie cette croix rouge que le chevalier, que tous les hommes d'armes, que Monseigneur mon père, portent sur l'épaule gauche? »
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres !
«Noble dame mon épouse, damoiselle ma fille, et vous, mes deux fils, héritiers de ma race et de mon écu, écoutez-moi pieusement et comme il faut, car vous n'entendrez plus de longtemps ma voix. Au milieu des joutes d'un pas d'armes, un saint homme, vêtu de bure, les reins ceints d'une corde, pieds nus, le visage pâle et les membres couverts de cicatrices, est venu prêcher une croisade: chacun a pris la croix et a juré de délivrer le saint lieu. Donc, il faut que nous quittions nos familles et que nous nous en allions en Terre sainte.
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres!
« Un juif, moyennant un salaire considérable, et pourvu que je lui laisse en gage mon domaine, consent à me faire l'avance de quatre années de mon revenu. Mes hommes d'armes, prêts pour le tournoi, partiront dès demain pour la Terre sainte. Nous serons donc en route tous demain au point du jour. Ainsi l'exige le vœu que nous avons fait hier soir, en sortant de souper. Madame ma femme, veillez en mère tendre sur les enfants que je vous laisse. Et vous, ma fille Berthe, vous qui comptez déjà seize ans, si le ciel appelait à lui votre mère, devenez la mère de vos frères. »
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres!
Le comte de Troisvilles partit le lendemain au point du jour, et je ne saurais vous dire quelle désolation il laissa derrière lui parmi sa famille. La noble comtesse, son épouse, ne cessa de verser des larmes qu'au moment où l'ange de la mort, prenant en pitié sa douleur, eut fermé ses yeux et emmené son âme en paradis. Berthe demeura donc seule et sans appui sur la terre.
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres!
Elle se rendit aussitôt dans la chapelle du château, où se trouvait une copie fidèle et bénie de la peinture miraculeuse de saint Luc: là, elle se mit à deux genoux, et fit mettre ses deux petits frères à deux genoux à côté d'elle. Puis elle voulut prier; mais elle éprouvait trop de douleurs pour cela, et elle ne put longtemps que sangloter avec amertume, et en répétant : « Ma mère! ma mère ! »
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres!
A la fin elle reprit un peu de calme et de courage, et elle intercéda la sainte Vierge avec une ferveur extrême. «Sainte Mère de Dieu! lui dit-elle, si vous m'abandonnez, que deviendrai-je, moi chétive créature, dont le père combat en Terre sainte, dont la mère vient de mourir, et à laquelle il reste deux petits frères en bas âge, malheureux orphelins qui ne savent pas même comprendre ni ce qu'ils ont perdu, ni les périls où ils se trouvent jetės? Que voulez-vous que je fasse, sainte Vierge, sans votre secours? »
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres !
« Je me mets sous votre protection, moi et mes deux frères. Devenez la tutrice des pauvres orphelins du comte de Troisvilles; empêchez les méchants de leur faire du mal. Si vous daignez exaucer mes prières, je fais vœu de me dévouer au culte des saints autels de Dieu, et de prendre le voile sitôt que mes frères n'auront plus besoin de mes secours jusque-là, ils porteront des vêtements blancs et une ceinture bleue, couleurs pures qui vous sont consacrées. »
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres!
Sitôt que le baron de Marcoing eut appris la mort de sa cousine la comtesse de Troisvilles, il résolut de s'emparer de la châtellenie, qui se trouvait n'avoir d'autres maîtres que des enfants. Il se nomma de sa propre autorité le tuteur des orphelins, et arriva devant le manoir de Troisvilles avec un corps considérable d'hommes d'armes. Berthe, à cette vue, se réfugia dans la chapelle du château, et là se mit à requérir avec ferveur la protection de la sainte Vierge.
Notre-Dame-de-Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres!
Le baron de Marcoing fit sonner trois fois des trompettes, et trois fois il envoya un héraut donner l'ordre au peu de soldats qui se trouvaient sur les remparts de reconnaître son autorité, d'abaisser le pont-levis, et de laisser prendre possession du château. Les hommes d'armes, reconnaissant l'impossibilité de se défendre, allaient obéir, lorsque Berthe, inspirée par la Mère de Dieu, accourut parmi les soldats : « Ne trahissez point vos maîtres, leur dit-elle; combattez contre un injuste agresseur. Notre cause est la bonne, et nous l'emporterons. Le baron de Marcoing n'est pas mon tuteur; c'est la sainte Vierge que mes frères et moi nous avons choisie pour tutrice. »
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres!
Les hommes d'armes, encouragés par les paroles de la jeune comtesse, se disposaient à mourir plutôt que de se rendre aux ordres du baron, et déjà les soudarts de ce dernier commençaient à décocher sur le château les flèches de leurs arbalètes, lorsqu'une femme d'une rare beauté parut tout à coup sur les remparts. De ses deux mains frêles et blanches elle ouvrit son vaste manteau d'azur, et soudain les flèches et les pierres que les gens du baron de Marcoing lançaient contre le manoir de Troisvilles, attirées par une force mystérieuse, vinrent tomber dans le manteau de la créature céleste, de manière à ne produire aucun dommage aux assiégés.
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres!
Et du manteau de cette femme les pierres et les flèches rebondissaient sur les assiégeants, et leur causaient un si grand dommage qu'ils prirent la fuite en jetant des cris d'effroi. Le baron de Marcoing, grièvement blessé à la tête, ne tarda pas à rendre l'âme en proférant d'horribles blasphemes. On voulut relever son corps pour l'inhumer, mais chaque fois qu'on le tenta, des flammes sortirent du sein de la terre; si bien qu'épouvanté par un si horrible exemple, personne n'osa plus essayer de nuire à Berthe et à ses frères.
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres!
Quatre années après son départ, le comte de Troisvilles revint au pays de Flandre: Arnulphe, fils du chevalier de Saint-Pithon, l'accompagnait le père du jeune seigneur était mort en Palestine, et, avant de rendre l'âme, il avait parlé à l'oreille du comte de Troisvilles d'un projet qui devait rendre à jamais puissantes leurs deux familles : c'était d'accomplir un dessein résolu avant leurs querelles, d'unir Arnulphe à Berthe: aussi les premières paroles du comte à sa fille furent-elles de lui annoncer cette résolution. Berthe leva les yeux sur le jeune chevalier et les abaissa soudain en soupirant.
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres !
« Monseigneur mon père, j'ai fait vœu à Notre-Dame de Grâce, si elle daignait protéger mes frères et moi, de me vouer au culte des autels et de prendre le voile sitôt que mes frères n'auraient plus besoin de mes secours. Vous voici revenu pour leur servir d'appui, il faut que j'accomplisse mon vœu; il faut que je prenne le voile; je vous demande la faveur d'entrer ce soir même au couvent. »
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres!
Le jour où Berthe prononça ses vœux, elle détacha de son front un riche diadème enrichi de perles et de pierres précieuses, et le posa sur la châsse où se trouve le portrait de Notre-Dame, peint de la main de saint Luc l'évangéliste: l'image divine sembla sourire à cette offrande, et promettre d'exaucer encore les paroles que murmurait Berthe:
Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres !
A dix-huit mois de là, Berthe mourut en odeur de sainteté.
Maintenant les jeunes filles joignent son nom au nom de la Vierge Marie; lorsqu'elles ont une faveur à requérir par l'intercession céleste, elles disent, dans leurs prières :
« Sainte Berthe, faites que Notre-Dame de Grâce soit en aide aux jeunes filles des Flandres! »