La légendes des Crots de Berveille [La Marche (Nièvre)]

Publié le 19 avril 2024 Thématiques: Avarice , Engloutissement , Grotte , Jésus , Lieu englouti , Maison | Cabane , Mauvais accueil , Punition ,

La haie devant les Crots de Berveille
La haie devant les Crots de Berveille. Source Google Street Map
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Source: Millien, Achille / La Tradition (1888) (4 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Les Crots de Berveille (Berville) / La Marche / Nièvre / France

Vous voulez donc, mon cher monsieur, me dit la bonne vieille mère Guite, assise au soleil sur la chaume (terrain vague) à côté de son faix de bois mort, vous voulez que je vous dise ce que les anciens m'ont raconté touchant les Crots (trou plein d'eau) de Berveille. Mais ce n'est pas un conte, ça, c'est une histoire véritable, et c'est arrivé dans les temps, aussi vrai que Dieu est Dieu !

« Il y a toujours eu des pauvres sous la calotte des cieux et toujours il y en aura; de même qu'il y aura toujours, en plus tard comme en ci-devant, des riches de bon cœur; mais qu'il y a donc de méchants! Un jour que je gardais ma vache (au respect de vous !) sur la chaume où nous voilà séants, je vous ai chanté, mon petit monsieur, la cantique du bon Dieu qui s'est habillé en pauvre, c'est une jolie cantique qui va sur deux airs. Notre Seigneur Jésus-Christ prenait plaisir comme ça à voyager sur la terre, seul ou en compagnie de ses apôtres, à l'époque où le monde était moins mauvais qu'au jour d'aujourd'hui. Il n'avait pas de beaux habits, lui, il n'était pas fier comme les chetits païens qu'on voit à cette heure! Il avait la ressemblance d'un chercheux de pain; il s'en allait, bonnes gens! tout minable, à la porte des gros et des petits. De quoi vivait-il? D'une croûte de pain channi (moisi) qu'il attrapait par ci par là, lui qui aurait pu se faire servir un repas sellébridé sur une belle nappe comme celle du conte que je vous ai conté, vous en souvenez-vous? Il n'y avait qu'à l'étendre par terre en disant: Nappe, fais ton devoir! et, d'un coup, mon doux Sauveur ! voilà un dîner complet, là, sur la nappe, et pas cher ! Mais Notre Seigneur n'en demandait pas tant; il se contentait de ce qu'on lui donnait. Quelquefois il récompensait les malheureux qui se privaient pour lui faire l'aumône; quelquefois aussi, il punissait les méchants riches qui le repoussaient tout comme un chien (au respect de vous, mon cher monsieur !)

« Un jour qu'il était bien las, bien las, voilà qu'il arrive dans la Champagne (contrée plate) d'Ouche. Connaissez-vous ce pays-là? Il ne ressemble guère au nôtre qui est tout couvert de bois à montées et à devallées, quoiqu'il n'en soit pas éloigné de plus de cinq à six lieues. C'est un grand champ tout plat, tout nu, sans arbres; pas bien loin de la rivière de Loire et de la ville de La Charité Point de route. Les voyageurs s'y forvoient même de jour, quand il fait des brouées (brouillard)... du moins c'était comme ça du temps des anciens ; mais le père Toine Linard, notre voisin, raconte que toute cette Champagne est aujourd'hui dispartie et au quart plantée de vignes. Il y avait là une maison habitée par deux riches, frère et sœur, des gens avaricieux, durs aux pauvres, capables d'écorcher un pou pour en avoir la peau. Vous pensez, mon cher monsieur, que Notre Seigneur ne fut pas bien reçu quand il se présenta dans la cour avec sa besace et son bâton. Le frère, appelé Pierre, qui se chauffait devant les landiers, se mit à jurer comme un païen qu'il était, et la sœur courut jusqu'au milieu de la cour pour en pêcher le pauvre d'avancer;
« – Qu'est-ce que vous voulez? lui dit-elle, fainiant, ne pouvez-vous pas travailler pour gagner votre vie? Allez plus loin, vous n'aurez rien ici !

« Notre Seigneur ne desserra pas les lèvres, mais il la regarda si dolemment pendant qu'elle ajoutait :
« – Ensauvez-vous, où je lâche les chiens!

« Au même instant, voilà la terre qui se fend et la maison qui s'enfonce, qui s'enfonce! Et ma foi, j'en jure, c'était bien fait, n'est-ce pas, mon petit monsieur?... La mauvaise femme se mit à crier: Sors vite, Pierre ! – Pierre tu seras! répond une voix. En une secousse, plus de femme ! rien qu'une grosse pierre à sa place.

« Et la pierre y est encore à cette heure, auprès de deux trous, deux vrais abîmes, qu'on appelle les Crots de Berveille. Il y en a qui disent les Crots de Merveille, mais pas moi; je dis comme mes anciens m'ont appris. Ces grands trous marquent l'emplacement de la maison. Ils sont intarissables. A chaque tour de soleil, l'eau baisse, puis remonte. Ce que je vous dis là, je le tiens de ma mère bisaïeule, et c'est aussi vrai que si je l'avais vu de mes deux yeux. Moi, je ne l'ai pas vu, mais j'irai faire un tour de ce côté-là, à l'époque des vendanges, si j'en suis encore à la peine!

« Dans un des trous, croiriez-vous qu'un chariot s'est perdu, tout chargé, avec les bœufs, qu'on n'en a vu ni vent ni fumée ? Dans l'autre, on a déroulé dix-huit paires de courroies attachées bout à bout et portant un soc de charrue, mais, bast! on n'a pas trouvé le fond. Quand l'eau est bien claire, je me suis laissé dire par le père Picard, qui est le marguillier de Bulcy, qu'on peut distinguer encore les marches de l'escalier de cette mauvaise maison.

« Et voilà, reprit en se levant la mère Guite, ce qui doit apprendre aux riches, bien vêtus, bien pansés (nourris), bien en repos, à ne pas repousser les malheureux qui viennent demander l'aumône, tout guenilloux, aquenis (épuisés) de fièvre, esrenés (éreintés) de fatigue. Qui sait si Notre Seigneur ne voudra pas s'habiller en pauvre pour voir de près toute la vilaineté du monde? Qui sait si ce n'est pas lui que vous renvoyez en le reboulant (repousser rudement), faux chrétiens que vous êtes ?.....

« Et à cette heure, s'il plaît à Dieu, je vas m'en aller du côté de chez nous... Si vous vouliez bien m'aider un p'chon (un peu) à charger mon faix, mon cher petit monsieur? »


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