La légendes des follets du Château de Cancoët [Saint-Gravé (Morbihan)]

Publié le 22 janvier 2023 Thématiques: Animal , Baton , Chant du coq , Château , Coq , Dolmen/Menhir , Follet , Formule magique , Gardien du trésor , Lieu cachant un trésor , Minuit , Nuit , Pauvre , Paysan , Pierre | Roche , Reveil du coq , Richesse , Sabbat , Sorcier ,

Château de Cancouët
Château de Cancouët. Source patrimoine.bzh
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Source: Fouquet Alfred / Légendes, contes et chansons populaires du Morbihan (1857) (9 minutes)
Lieu: Dolmen des Follets / Saint-Gravé / Morbihan / France
Lieu: Château de Cancoët / Saint-Gravé / Morbihan / France

Au château de Cancoët, aujourd'hui si triste et si désert, habitait jadis une noble et riche famille. Le souvenir, le nom même de cette famille sont éteints de nos jours (le rang et la fortune n'éternisent point les mémoires), mais les gens du pays parlent encore quelquefois d'une jeune fille qui servait dans ce château en qualité de femme de chambre de la dame. Cette jeune fille, nommée Clémence, était aimée de tous, parce qu'elle était serviable pour tous, et quand les malheureux voulaient appeler sur leurs misères la bienfaisance des châtelains de Cancoët, ils s'adressaient à Clémence, qui savait si bien éveiller dans les cœurs la compassion et la charité, qu'aucune infortune ne restait sans secours.

Or, il advint un jour que cette bonne jeune fille, ordinairement gaie, rieuse même, tomba tout-à-coup dans un état de langueur et de tristesse extrême, sans qu'on pût découvrir le motif d'un changement d'humeur si subit. Elle maigrissait à vue d'œil, perdait sa fraîcheur et ses forces, et fut, en quelques jours, réduite au plus triste état.

Tous ceux qui la voyaient ainsi souffrir et s'éteindre, ses maîtres surtout, l'interrogeaient avec instance sur les motifs de son profond abattement, mais en vain; à toute sollicitation, Clémence rougissait et gardait le silence, ou, si elle répondait, elle assurait alors qu'elle n'avait rien, mais qu'elle se sentait mourir. Le médecin appelé à lui donner des soins ne comprenait rien lui-même à ce trouble profond dont la cause lui était cachée; mais il jugeait grave et peut-être mortelle une affection qui, en si peu de temps, avait produit dans cette jeune existence d'aussi effrayantes perturbations.

La cause de tant de souffrances n'était tenue si secrète par la pauvre Clémence que parce qu'elle la jugeait elle-même trop puérile pour oser l'avouer. Elle avait assez de sens pour apprécier la valeur d'un préjugé d'enfance; mais son esprit malade, qui, dans la crainte du ridicule, la condamnait au silence, avait changé sa foi douteuse en conviction profonde. Hélas! les opinions et les croyances ont fait partout et en tout temps bien des victimes !.... Clémence croyait (et cette foi lui venait de sa mère) que le chant du coq, au coup de minuit, était une signifiance de mort dans l'année, et la pauvre jeune fille, dans une nuit d'insomnie, avait entendu, au même moment, cette heure et ce chant!....

De toutes les personnes qui témoignaient à Clémence de l'amitié et de l'intérêt, celle dont les soins lui plaisaient le plus, était la cuisinière du château. Cette brave femme, nommée Fanchon, portait à la pauvre fille un amour de mère, et tous les soirs, en la veillant, elle cherchait, par tous les moyens en son pouvoir, à dissiper les langueurs de cet esprit malade. Elle lui contait, pour charmer ses longues et pénibles insomnies, toutes les vieilles histoires qu'elle savait, et ces histoires, souvent pleines de gaîté, amenaient le sourire aux lèvres de Clémence.

Un soir que Fanchon, assise auprès du lit de la malade, lui contait encore des histoires pour la distraire, le coq du château se mit à chanter.... Allons, dit Fanchon, v❜là encore not'e coq qui folle; on voit b'en qu'on est dans l's Avents.... - Comment, dit Clémence, est-ce que les coqs follent dans les Avents? - Pardi, j'crais b'en, dit Fanchon; ils chantent alors à toute heure, sans rime ni bon sens, et c'est b'en ennuyeux pour moi, à présent que l'horloge de la cuisine est arrêtée.... Heureusement que ça va finir. - On va donc tuer le pauvre coq, demanda Clémence?  - Oh que non, répondit Fanchon, mais dame! v'là que d'main je t'nons le dernier dimanche de l'Avent, et not'e coq va se régler. - Es-tu bien sûre de ce que tu dis là, ma Fanchon. - Si j'en suis sûre, par exemp'e! J'en mettrais ma main au feu !.... Tenez, écoutez cette histoire qui va vous montrer la chose :

« Vous connaissez b'en, n'est-ce pas, ma bonne mam'selle, la maison des Follets qu'est dans la taille auprès du château ? - Non, ma bonne Fanchon, je ne la connais pas, à moins que tu ne veuilles parler du vieux dolmen que j'ai vu au milieu de cette taille. - Eh b'en, justement, mam'selle, c'est la maison des Follets, et c'est là qu'ils cachent leurs trésors. Tous les gens du pays savent b'en ça, et i'yen a joliment parmi eux qui voudraient fouiller l'endroit, mais i's n'osent pas, i's ont trop peur des Follets, qu'i' vaut mieux voir de b'en loin que de b'en près. Demandez à not'e jardinier T'huriau, il en a vu un lui qui sortait de la taille en filant sa quenouille, une quenouille qu'était b'en grosse comme mon bras et longue comme une perche. C'était la nuit, et i'faisait b'en noir, mais i'vit tout d'même sa grande barbe blanche qui pendait jusqu'à la ceinture, et sa queue noire qui frétillait sans cesse. Le follet portait sur sa tête une énorme jarre de Malensac qu'il alla remplir au ruisseau de la forêt de Brambien, et qu'il rapporta jusqu'à la taille, comme si de r'en n'était...... Ça fait peur tout d'même, quand on y pense, d'avoir des voisins comme ça; n'est-ce pas, mam'selle? - Continue, ma bonne Fanchon, dit la malade. - Eh b'en, pour en revenir à mon histoire, reprit la cuisinière, v'là qu'un garçon meunier de la rivière d'Ars, qu'était ladre comme un vieux richard, mit dans sa tête qu'ï' s'rait p'us fin que l's aut'es, et qu'i dénicherait les trésors des follets de Cancoet. I' alla trouver un vieux sorcier de Peillac, qu'il consulta pour un écu, afin de savoir l'heure où les follets sortaient de leurs maisons et l'heure à laquelle i' s'y rentraient. Le vieux sorcier lui apprit que les follets étaient toujours dehors la nuit entre les deux chants du coq.

Sur ce, v'là mon garçon meunier qui, une belle nuit qu'ï' pleuvait, prend su' son épaule une pioche et une bêche, et dans sa main un bon falot, et puis court à la taille de Cancoët, où il arrive après le premier chant du coq. Aussitôt i' s'en va bravement à la maison des follets et là, se met à piocher et à bécher de tout son cœur.... i' y avait b'en une bonne heure qu'i travaillait comme un malheureux, quand tout-à-coup le coq se mit à chanter, et v'là tous les follets d'arriver comme le vent... i s'met à s'encourrir à toute jambe, mais les follets qui courraient b'en mieux qu'lui, le rattrapent et lui tordent le cou!... le pauvre garçon meunier n'avait pas songé qu'on était dans l's Avents, et que, dans ce temps là, les coqs affollent.... »

  • Je voudrais te croire, ma bonne Fanchon, dit Clémence, mais il n'y a rien de vrai dans ton conte!
  • Comment, n'y a rien d'vrai, qu'vous dites, m'am'selle ! ah b'en par exemp'e, puisque vous n'voulez pas croire mon histoire, j'vas vous en conter une autre qu'ï' faudra b'en qu' vous croyez, car c'est le grand Renaud, not'e fendeur de bois, qui m'la dite lui-même, et c'est à lui qu'elle est arrivée...

  • «Renaud, qui demeure aujourd'hui en Saint-Gravé, habitait, avant d'êt'e veuf, la Ville-au-Dy, en Malansac. Il avait quat'e enfants, et c'était une b'en lourde charge pour lui qui n'gagnait que sa nourriture et six sous par jour. Dans le même village, et presqu'en face de lui, demeurait un aut'e journalier qui ne se tuait point à la besogne, et qui pourtant semblait b'en p'us à l'aise, quoiqu'i' n'gagnât pas pus de six sous, comme lui, et qu'il eût un enfant de plus que lui. Ce journalier s'appelait Simon. Renaud n'était ni jaloux ni méchant; mais tout d'même i'n' pouvait pas s'empêcher de penser su' son voisin des choses qu'i' n'osait pas dire à d'aut'es qu'à sa femme qu'était une fine mouche, la pauv'e défunte!

  • N'y a pas de Dieu possible, disait la bonne commère, faut qu'y ait que'qu'anguille sous roche... oh, j'aurai ça, b'en sûr!... Faut pas songer à faire jaser Simon, il est trop malin, lui; mais sa femme, qu'est la bête du bon Dieu, se laissera facilement tirer les vers du nez, si el' sait que'qu'chose....

Un jour donc, armée d'un vieux sabot, la femme de Renaud s'en fut chez sa voisine pour y chercher du feu, et, la trouvant seule, elle jugea l'occasion favorab'e pour la faire parler...

  • Ah! bonjour, ma commère, lui dit-elle, n'est-ce pas, Dieu m'pardonne, du beau lin que vous filez là! j'n'ons pas tant d'bonheur que ça, nous, et j'avons d'la peine assez à nous fournir du failli chanvre.
  • Ah dame! ma voisine, dit la mère Simon, ç'a n'm'étonne pas, c'est qu'vous n'ez pas d'secret vous, donc!
  • Comment, reprit la femme de Renaud, vous t'nez un secret pour avoir de l'argent! contez-moi donc ça, ma commère, vous qu'êtes si bonne! faut avoir pitié des pauv'es gens, voyez-vous, et vous s’ez b'en qu'j'avons b'en du mal à nous tirer... Allons, mère Simon, vous ne pouvez pas refuser de nous sortir de peine, ça s'rait une bonne œuv'e de vot'e part...
  • j'voudrais b'en vous aider, ma pauv'e voisine, fit la mère Simon, mais j'nose pas, car si seulement mon mari savait que j'vous ai parlé d'son secret, i'm'ferait une vie, une vie que n'y aurait pas moyen d'durer.
  • N'craignez rien, mère Simon, c'est pas moi qu'irai le lui dire, allez; jamais personne ne saura c'que vous allez m'conter.
  • Eh b'en, ma voisine, dit la femme à Simon, c'est avec les sorciers que mon homme gagne de l'argent. Tous les vendredis, la nuit, ent'e les deux chants du coq, i' va à l'assemblée des sorciers qui s'tient dans une grande pâture à genêts, et là, i's'disent les uns aux aut'es tous l's endroits où il y a d'l'argent caché ou perdu. Dans la s'maine, mon homme va déterrer l'argent dont il a appris la cachette, et aujourd'hui même il est en Caden pour ça et ne reviendra que d'main.
  • Mais comment donc ma bonne voisine, demanda la femme de Renaud, s'y prend vot'e mari pour arriver où sont les sorciers ?
  • Ah dame, si j'vous conte ça, vous irez l'bavarder et ça m'f'rait arriver d'la peine, non, non, b'en sûr, ma commère, j'n'en dirai rien à âme qui vive, aussi vrai comme j'm'appelle Julotte !
  • Eh bien, tous les vendredis donc, mon homme prend son bâton d'genêt qu'est ensorcelé, i' monte dessus, et puis i' dit trois fois :

Par dessus mare' et buissons, Dans la pâture où l's aut'es sont...

et son bâton l'emporte là ousque sont les sorciers.

  • Oh! mère Simon, si vous étiez une bonne femme, vous m'prêteriez vot'e bâton de g'nêt rien qu'pour un jour; c'est aujourd'hui vendredi, et puisque vot'e mari. ne doit rentrer que d'main, i'n'saura pas; et vous pouvez nous faire tant d'bien Ah! si mon pauvre homme pouvait au moins apprendre une bonne cache avec les sorciers, j'sérions-t-i' heureux !

A force de câlineries et de prières, la femme de Renaud obtint enfin le bienheureux bâton, et, rentrée chez elle, elle le donna à son mari, qui, dans la nuit, monta dessus et partit.

Malheureusement pour lui, il avait mal répété les paroles que sa femme lui avait apprises, et il avait dit trois fois :

A travers mare' et buissons, Dans la pâture où l's aut'es sont.....

Et le bâton l'avait traîné dans toutes les mares, l'avait fait passer à travers les haies, et, quand il arriva enfin à la pâture, il était mouillé, crotté comme un barbet, meurtri et écorché comme saint Barthélemy. Pour comb'e de malheur, i'n'trouva p'us les sorciers au rendezvous, car il avait perdu b'en du temps dans les accidents de la route, et comme on était dans l's Avents, les coqs avaient chanté b'en des fois pendant la course du pauv'e Renaud. 

  • Ah! mon Dieu, s'écria en cet instant Clémence, minuit sonne, et voilà encore notre malheureux coq qui chante ! J'en mourrai, c'est sûr !!!...
  • Comment, mam'selle, c'est donc ça qui vous rend malade! mais vous savez b'en que nous somme' en Avent, et que les coqs n'ont pu d'heures pour chanter... et puis, dans l'saut'es temps, quand un coq chante juste à minuit, c'est la mort du maît'e ou d'la maîtresse de la maison qu'il annonce, mais c'est pas celle des domestiques, dame!

  • Ah! si je pouvais te croire, ma bonne Fanchon, je serais sauvée, car c'est cette idée qui me tue!

  • Eh b'en ma chère mam'selle, faut vous guérir, c'est b'en facile, vous pouvez demander à qui vous voudrez, et tout l'monde vous dira qu' les coqs sont fous dans l's Avents...

Enfin, convaincue de cette vérité, Clémence ne tarda pas à se rétablir, à la grande joie de tous ceux qui connaissaient la bonté de son cœur... »


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