A mi-voie de Ploërmel à Josselin, et un peu au nord de la pyramide qui marque le lieu où, le 27 mars 1550, les trente Bretons de Jean de Beaumanoir vainquirent les trente Anglais de Richard Bamboroug, s'élève, dans la commune de la Croix-Helléan, au milieu d'un pauvre village, une pauvre chapelle dédiée à saint Maudé.
Sous le maître-autel de cette chapelle, existait autrefois une fontaine dans laquelle les paysans de la contrée allaient plonger leurs enfants nouveaux-nés, en répétant sept fois ces mots : à la vie, à la mort!....
Toutes les voix du conseil, de la prière et du blâme ayant vainement été épuisées contre cet usage barbare, il a fallu, pour y mettre fin, combler cette fontaine. Or, les usages, comme toutes les choses de ce monde, ont leur raison d'être, raison absurde ou raisonnable, et voici celle de la funeste immersion des enfants: c'est que, suivant la légende locale, saint Maudé et ses six frères avaient dû, à leur naissance, être jetés à l'eau par ordre de leur mère...; écoute, mon ami, cette bizarre histoire :
« Il y avait une fois une reine d'Irlande qui, devenue mère de sept garçons, tous vivants, et étant effrayée de leur nombre, donna l'ordre à la femme qui l'assistait d'aller les jeter tous à l'eau. Forcée d'obéir, la gardienne mit les sept enfants dans un grand panier couvert et s'achemina vers la rivière. Mais la Providence veillait sur la destinée de ces innocents qui devaient tous un jour être des saints, et elle fit que le roi leur père, revenant d'une guerre lointaine, se trouva en ce moment sur le chemin de cette femme.
Surpris d'entendre sortir du panier qu'elle cherchait à cacher des vagissements plaintifs, il lui demanda où elle allait et ce qu'elle portait... La gardienne épouvantée se précipita, les larmes aux yeux, aux genoux du roi, et lui faisant l'aveu complet du crime dont elle était chargée, elle le supplia de détourner d'elle sa colère, parce qu'elle n'était que l'instrument de la reine à laquelle elle était forcée d'obéir.
Dans le premier moment de son indignation, le roi songea à punir de mort cette malheureuse femme; mais, touché de son repentir et de sa douleur, il voulut bien lui pardonner, en exigeant d'elle qu'elle laissât croire à la reine que le crime était consommé, et qu'elle se mit de suite en quête de sept bonnes nourrices pour les sept enfants.
Tout fut fait comme le voulait le roi, et les sept garçons, confiés à d'excellentes nourrices, furent élevés dans la sagesse et grandirent en force, en beauté et en vertu.
Quand ils furent assez grands et assez forts pour n'avoir plus rien à craindre de la méchanceté de leur mère, le roi voulut les reconnaître et les élever au rang qui leur était dû. Il les fit tous habiller de neuf, et commanda de les amener au palais. Dès qu'ils furent en sa présence, le roi manda la reine et lui dit : Examinez bien ces jeunes gens, madame, et dites-moi si vous en avez souvenir.-Nullement, dit la reine, aucun d'eux ne m'est connu, et pourtant, sire, leur vue me trouble. Ce qui vous trouble, madame, dit le roi, c'est le remords; car ces jeunes gens sont vos enfants et aussi les miens, enfants dont vous avez eu la cruauté d'ordonner la mort, et que moi j'ai pu sauver. L'heure de la justice a sonné pour vous, et vous allez mourir.... Quant à vous, mes enfants, continua le roi, non seulement je vous reconnais et vous replace au rang qui vous appartient, mais encore je fais le serment solennel de satisfaire au premier vœu que vous voudrez bien exprimer.... - Soyez béni, notre bon père, dirent les sept jeunes gens en se précipitant aux genoux du roi; mais ne changez pas en un jour d'amertume ce jour de bonheur; épargnez notre mère, et pour que notre présence n'éveille pas en son cœur le remords éternel d'un jour d'égarement, souffrez que nous nous retirions du monde pour nous donner à Dieu....
Lié par son serment, le roi, qui était très-bon et très-miséricordieux, voulut bien pardonner à la reine; mais il ne pouvait se décider à se séparer de ses fils, au moment même où il venait de les rapprocher de lui. Cependant, touché de leurs instances, il consentit à les laisser partir, mais à la condition qu'un d'eux au moins resterait près de lui.
Saint Maudé, saint Congard, saint Gravé, saint Perreux, saint Gorgon et saint Dolay s'embarquèrent alors pour la petite Bretagne, où les uns se firent ermites et les autres moines, tandis que saint Jacut restait en Irlande, à la cour du roi, son père, qui le combla d'honneurs, lui fit bâtir un beau palais et le força d'épouser une jeune et belle princesse.
Mais saint Jacut, comme ses frères, était tout à Dieu et fort peu aux choses de ce monde; aussi sa jeune femme, qu'il négligeait, ne tarda pas à devenir, par sa conduite, un sujet de scandale. Averti de ses déportements, saint Jacut, sous prétexte de promenade, sortit un jour avec elle, la conduisit à la forêt voisine, et là, - près d'une fontaine, il lui dit : « On vous accuse, Madame, de manquer à tous vos devoirs si vous êtes innocente, prouvez-le moi en trempant vos mains dans cette fontaine...»
La princesse, qui ne trouvait rien de grave dans cette épreuve, plongea hardiment ses mains dans l'eau; mais elle les retira aussitôt en jetant un cri de douleur, car elles étaient cruellement brûlées. « Cette épreuve suffit, dit alors saint Jacut; vous êtes coupable: ne soyez donc point surprise si je vous fuis comme on fuit le péché mortel... » Et sur-le-champ il quitta l'Irlande, et vint s'établir, comme ses frères, dans notre Bretagne armoricaine, où il se retira, pour vivre dans la prière, au fond d'une immense forêt.
Mais dans cette forêt existait une retraite de bandits qui, apprenant que le fils d'un roi s'était établi près d'eux, s'imaginèrent qu'il avait avec lui beaucoup d'or et de bijoux, et résolurent de le dépouiller de ses richesses. Ils se présentèrent donc à son ermitage, et le sommèrent avec brutalité de leur livrer tout ce qu'il possédait. Saint Jacut protesta en vain qu'il n'avait en ce monde rien de ce qu'ils cherchaient; les bandits le fouillèrent, ainsi que son ermitage, et, furieux d'être trompés dans leurs espérances, ils se jetèrent sur lui et le tuèrent. Mais ils ne portèrent pas loin la peine de leur crime, car du chemin du Paradis, qui, comme chacun sait, est semé de ronces, de pierres et d'épines, saint Jacut fit pleuvoir sur eux les plus gros cailloux qu'il pût trouver, et les écrasa tous. »
Tu le vois, mon cher ami, dans l'opinion des légendaires, la vengeance est un plaisir de saints [...]