Saint Airy, dixième évêque de Verdun, vivait au milieu de ce VIe siècle si troublé de luttes intestines, si proche encore des bouleversements causés par les invasions barbares.
Saint Airy avait comme parents de pauvres paysans des environs de Verdun. Mais on rapportait que sa naissance était advenue dans d’étonnantes circonstances. En effet, il était né dans un champ de blé, au cours du mois d’août, et une gerbe fraîchement coupée lui avait servi de première couche. Ses parents l’appelèrent Agericus, c’est-à-dire champêtre, et Agericus devint Airy en français. Le roi d’Austrasie, Thierry Ier, qui passait justement dans le Verdunois, tint à servir de parrain à l’enfant merveilleux.
Agericus grandit et, comme il était remarquablement intelligent et studieux, on l’envoya à l’école que des moines avaient fondée près de la cathédrale.
Il fut ordonné prêtre et, en 554, fut sacré évêque de Verdun.
Ses qualités personnelles firent bientôt de lui l’un des premiers personnages de son temps, respecté des nobles et aimé du peuple. Venance-Fortunat, le dernier poète latin de ce siècle de décadence, Grégoire de Tours, le premier historien de notre pays, le tenaient en grande estime. Quant aux monarques de Neustrie et d’Austrasie, perpétuellement déchirés et divisés, ils réclamèrent à plusieurs reprises son arbitrage.
Childebert II, fils de Sigebert et de la célèbre Brunehaut, fut baptisé par Saint Airy. Devenu roi d’Austrasie, il conserva toujours à l’évêque de Verdun un grand attachement, chargé de respect.
Saint Airy était déjà très âgé, quand Childebert II, escorté de tous ses guerriers francs, vint le voir en 590. Toute la cour d’Austrasie, alors établie à Metz, avait tenu à accompagner le roi pour saluer le célèbre évêque de Verdun.
Saint Airy reçut royalement Childebert et sa suite dans son palais épiscopal. Il fit servir à ses hôtes un grand repas, où les pièces de gibier arrivaient par quartiers entiers sur les tables.
Mais on était au mois d’août, en pleine canicule. Et les guerriers francs, après leur longue chevauchée sur des routes poussiéreuses, mouraient de soif. Le vin coulait à flots des cruches dans les lourds hanaps d’or.
Childebert II, entretenant Saint Airy des derniers événements de sa cour, voulait paraître spirituel et cultivé, malgré la lourdeur de son esprit. Saint Airy récitait au roi les derniers vers de Venance-Fortunat, dont il venait de recevoir le manuscrit. Une ambiance de franche gaieté, un peu rude et grossière, régnait parmi les convives.
Soudain, un serviteur s’approcha discrètement de Saint Airy et lui souffla à l’oreille :
— Monseigneur, il n’y a plus de vin dans votre cave. Nous n’avions pas prévu une troupe aussi nombreuse. Que faut-il faire ?
— Combien en reste-t-il exactement ? demanda l’évêque.
— Un seul petit baril. Il faut bien le réserver pour le service de la messe, répondit le serviteur.
— Faites-le monter dans la salle du banquet, dit simplement Saint Airy.
Deux échansons apportèrent alors le petit tonneau, qui ne contenait guère plus de vingt litres de vin.
Saint Airy s’approcha aussitôt du tonneau, se recueillit profondément, le bénit, puis il dit aux serviteurs :
— Faites-en servir à mes convives.
Les échansons obéirent. Des cruches innombrables furent remplies, et l’on s’aperçut bientôt que le tonneau était intarissable.
Tous les Francs burent à satiété, sans que jamais il ne s’épuisât. Et ce vin était encore meilleur que celui qu’ils avaient bu au début du festin.
Le roi et toute sa cour admirèrent le prodigieux tonneau, vantant bien haut les vertus de Saint Airy.
Pour remercier le bon évêque de son hospitalité, Childebert II fit don à l’évêché des terres de Sampigny, Cummières, Charny et Harville.
Ce qui fit dire au peuple que le roi avait quitté l’évêché en laissant les tonneaux plus pleins qu’il ne les avait trouvés à son arrivée.
Quant à Saint Airy, il fut dorénavant représenté accompagné de son miraculeux baril.