La Woëvre est une vaste plaine surélevée, comprise entre les côtes de Meuse et les côtes de Moselle. C’est un pays désespérément plat, monotone et triste. L’argile rouge, boueuse en toute saison, colle aux pieds. L’eau stagne un peu partout et les rares ruisseaux se traînent mollement, en des méandres compliqués, entre deux haies de saules tordus.
En toute saison, mais plus particulièrement en automne, le vent souffle et hurle au-dessus de cet immense plateau. Les nuées semblent se poursuivre par-delà l’horizon vide, comme poussées par une main diabolique.
En effet, c’est alors que passe, infatigable et maudite, la Haute Chasse du sire de Buzy, tandis que résonnent les taïaut ! sinistres et les déchirants aboiements des chiens.
Il y a très longtemps, vivait à Buzy un méchant seigneur, passionné de chasse et de plaisirs violents et brutaux. Accompagné de ses hommes d’armes et d’autres seigneurs du voisinage, le sire de Buzy parcourait inlassablement les prés et les bois de la Woëvre. Le sanglier et le chevreuil étaient abondants et les chasseurs avaient beau ne jamais rentrer bredouilles, ils ne se lassaient pas de poursuivre les bêtes.
Pour la chasse, le sire de Buzy délaissait son épouse, la blanche Iseult, qui s’ennuyait, toute seule au fond du sombre château. La noble châtelaine ne savait quel moyen trouver pour retenir auprès d’elle son turbulent époux. Elle souffrait de cet abandon ; mais ce qui la peinait par-dessus tout, c’était l’impiété du sire, qui, le dimanche, préférait courir les bois plutôt que d’assister à aucun office.
Pourtant, le matin du jour de Pâques, elle tenta un nouvel effort auprès de son mari.
— Sire, dit-elle, c’est aujourd’hui le jour du Seigneur. Venez avec moi à la messe. Accordez-moi cette grâce et songez au salut de votre âme.
La noble dame sentait des larmes couler le long de ses joues ; le ton de sa voix était si navré, si suppliant que le cœur du sire de Buzy s’attendrit.
— Soit, dit-il. Je n’irai pas à la chasse aujourd’hui. Je vous accompagnerai à l’église.
Mais à ce moment, il se fit un grand bruit devant le château. On entendit des cris de toutes sortes, mêlés à des aboiements. La châtelaine tressaillit.
Ses appréhensions étaient d’ailleurs justifiées, car le nouvel arrivant était Philippe de Florange, un brigand, qui ne cessait de guerroyer contre les évêques de Verdun ou les comtes de Bar.
— Salut ! noble ami ! lança Philippe de Florange et il sauta de son cheval.
Les deux hommes, que liait une longue amitié, s’étreignirent.
— Comment, dit Philippe, est-ce là un accoutrement pour un chasseur ?
— Mon ami, dit le sire de Buzy, ce matin, je vais à la messe.
— Par exemple !… Serais-tu devenu bigot ?
— Non. Mais je l’ai promis à dame Iseult !
— Ah ! ça, alors ? Je n’ai pas fait dix lieues pour que tu me plantes là, pour aller à la messe !…
Et se tournant vers la châtelaine :
— Noble dame, ajouta-t-il, allez à l’office et priez Dieu pour l’âme de votre époux.
Le sire de Buzy ne put résister à la tentation. Il s’arma aussitôt et, en compagnie de son ami, il partit.
Les cloches de Pâques sonnaient joyeusement sur la campagne en fête. Les chasseurs ne les entendirent pas, tant leur passion était forte.
— Taïaut ! Taïaut !…
Ce cri couvrait le chant des cloches.
Soudain, à quelque distance du village d’Étains, le sire de Buzy aperçut à l’orée d’une forêt un superbe chevreuil, dont les bois étaient d’or massif et semblaient lancer des éclairs.
— Taïaut ! Taïaut !…
Toute la troupe s’élança aussitôt à la poursuite de l’animal. Les chiens furieux hurlèrent.
Alors, à travers les prés, les landes, les forêts, les champs, la course infernale commença. L’animal était d’une agilité surprenante et au moment où les chiens croyaient le réduire aux abois, d’un brusque écart il se dégageait et la chevauchée fantastique reprenait de plus belle.
Elle ne s’est jamais arrêtée, dit-on. Car on ne revit jamais plus le sire de Buzy et, les nuits de tempête, on l’entend encore passer dans les airs au-dessus de la plaine.
Malheur au voyageur solitaire qui ne trouve pas immédiatement un abri ! Il est alors infailliblement entraîné par la sinistre meute, qui poursuit sans relâche le chevreuil mystérieux.