[Thomas Hélie] naquit à Biville, petite commune de la Hague, au nord de Diélette, séparée de la mer par une mielle, c'està-dire par des dunes de sable que le vent déplace, et où il ne pousse guère qu'une graminée aux feuilles dures, le millegreust, quelques tiges de panicauts aux fleurs bleues et quelques touffes grêles de gaillets aux fleurs jaunes.
Thomas a-t-il été curé de Saint-Maurice, petite paroisse du canton de Barneville, comme quelques-uns le prétendent? Cela n'a rien d'impossible. Mais a-t-il été aumônier de saint Louis comme quelques autres l'attestent? Tout tend à prouver que non. Le calice de vermeil gardé dans l'église de Biville avec cette inscription six fois répétée : Sui donné par amour que l'on présente comme témoignage des relations entre le roi et le saint, ne prouve absolument rien, attendu que cette inscription a trait évidemment au mystère de l'Eucharistie et non à un présent fait par un donateur quelconque.
Thomas Hélie, en son vivant, demeurait habituellement au château de Vauville, où l'on montre encore sa chambre. Mais il allait souvent dire sa messe à Biville et prêchait quelquefois en plusieurs endroits dans la même journée. Il empruntait alors un cheval à un fermier du voisinage. Un petit garçon qu'on envoyait après lui ramenait la bête. Le fermier n'osait refuser, mais ces fréquents emprunts le contrariaient. Un jour il eut l'idée de donner au saint personnage un poulain peu docile, persuadé que l'animal le jetterait par terre et que cela lui ôterait l'envie de renouveler ces emprunts.
On amène le cheval rétif, le saint homme monte dessus. Le poulain se laisse faire et trotte docilement vers Biville. Arrivé là, Thomas remet le cheval au petit garçon et lui donne en même temps une houssine [baguette flexible], dont il lui recommande bien de ne pas se dessaisir.
Le petit garçon monte à cheval, sa houssine à la main et trotte vers Vauville, mais en chemin la houssine lui semble inutile; et, soit par bravade, soit simplement pour s'amuser, il la lance pardessus une haie. Il s'en repent: le poulain, n'entendant plus siffler la houssine, fait un brusque écart de côté, jette son cavalier à terre et fuit comme un trait jusqu'à son écurie; le petit garçon, passablement moulu de sa chute, est obligé de faire le reste de la route à pied.
Il y a entre Biville et Vauville une lande assez étendue qui descend en s'inclinant jusqu'au fond d'un vallon tortueusement pittoresque. De petits sentiers sillonnent cette lande; on prétend qu'ils ont été tracés par le saint homme et que l'herbe n'a jamais repoussé là où il avait une fois posé le pied. Un jour, se trouvant las, il s'assit au bas de la lande pour se reposer, après avoir enfoncé son bâton dans le sol. Comme j'ai soif! s'écria-t'il. Il voulut cependant continuer son chemin, mais en retirant son bâton, il vit jaillir du trou une source d'eau vive où il put se désaltérer. On creusa un bassin à cette source, on la protégea du côté du soleil; elle existe toujours, et les pèlerins qui reviennent de visiter à Biville la tombe du saint personnage et de râcler un peu de la poussière de son ancien tombeau en calcaire pour la mêler à la bouillie des petits enfants, ne manquent pas de venir puiser de l'eau à la Fontaine du Bienheureux, qui est toujours fraîche et passe pour jouir de propriétés miraculeuses contre toutes les maladies.