La legende de la messe du revenant de Gréville [La Hague (Gréville),(Manche)]

Publié le 16 mars 2023 Thématiques: Chapelle , Messe , Messe perdue , Mort , Nuit , Prêtre | Curé , Punition ,

Chapelle Saint-Nazaire
Chapelle Saint-Nazaire. Source Cotentine
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Source: Fleury Jean / Littérature orale de la Basse-Normandie (1883) (3 minutes)
Lieu: Chapelle Saint-Nazaire / La Hague (Gréville) / Manche / France

La Demoiselle de Tonneville, le moine de Saire ont obtenu, l'une la lande, l'autre la mer, en vertu d'un vœu fait solennellement par eux. Il en est ainsi de tous les vœux bons ou mauvais. Tout vœu engage et doit être accompli. S'il n'a pu l'être pendant la vie de celui qui l'a fait, il doit l'être après sa mort. Les personnes qui ont promis de faire un pèlerinage, les prêtres qui se sont engagés à dire une messe et qui meurent sans s'être dégagés, sont condamnés à revenir sur la terre jusqu'à ce qu'ils aient rencontré quelqu'un de bonne volonté, qui leur aide à tenir la promesse qu'ils ont faite.

Il y a dans un clos à Gréville, non loin du fief de Gruchy [...] une chapelle consacrée autrefois à saint Nasé ou Naser. C'est un petit édifice roman, à parois très épaisses. A l'un des bouts, il y avait un autel surmonté de trois petites fenêtres, et à l'autre, un campanile. Il n'y a pas de contreforts, mais aux quatre coins, les pierres des deux murs s'entrecroisent en dehors de l'angle, comme les troncs d'arbres dont se composent les izbas russes. Quelques autres fenêtres, placées très haut sur les côtés et sur les murs blanchis à la chaux, plusieurs de ces croix enfermées dans un cercle que l'on ne voit plus guère que dans les églises byzantines et russes, complètent l'ornementation. Il n'y a pas de toit.

Cette chapelle est tout à fait abandonnée depuis longtemps, mais on rapporte qu'à une époque où le toit existait, où il y avait encore quelques aménagements intérieurs, quoiqu'on eût cessé d'y célébrer la messe, un jeune homme, qui passait par là le soir, fut fort étonné de la voir illuminée.

Il eut peur d'abord, d'autant plus qu'il sortait d'une maison où l'on avait raconté des histoires effrayantes pendant toute la soirée. Il lui avait fallu passer par un carrefour, où quelqu'un avait vu une nuit deux cierges allumés et entendu une voix qui lui avait dit: Passe ton chemin ! Pour sa part, il n'avait rien vu ni entendu, et c'est au moment où il se félicitait, qu'il se trouvait en face d'une vision. Car il n'y avait guère à s'y tromper, on ne pouvait pas supposer qu'aucun être humain se fût avisé d'illuminer la chapelle à cette heure de la nuit. La curiosité fut cependant plus forte que la peur. Il entra.

Deux cierges brûlaient des deux côtés de l'autel, et en bas, un prêtre en habits sacerdotaux, la chasuble passée sur les épaules, paraissait sur le point de commencer la messe.

Le jeune homme, au lieu de se sauver, comme il en fut tenté d'abord, s'approcha du prêtre et se plaça à sa droite dans l'attitude de quelqu'un qui va servir la messe.

Le prêtre, sans le regarder, commença l'office : Introibo ad altare Dei, etc.

Le jeune homme savait heureusement les mots qu'il fallait dire de temps en temps.

Il y avait à côté de l'autel du vin, de l'eau, du pain à chanter, et les voilà qui disent la messe à eux deux le prêtre, récitant les prières, et le jeune homme, répondant à propos: amen, et et cum spiritu tuo.

Quand le dernier amen fut prononcé, le prêtre remercia le jeune homme. Il y a plusieurs mois, lui dit-il, que je viens ici tous les soirs, attendant quelqu'un de bonne volonté. Je m'étais engagé à dire une messe à la chapelle Saint-Nasé, j'en avais même reçu le prix d'avance. La mort m'empêcha de tenir cet engagement. Maintenant je suis libre, et je puis comparaître devant Dieu. Merci !

Là-dessus il s'évanouit; les cierges s'éteignirent; la chapelle rentra dans l'obscurité, et le jeune homme, que les lumières avaient ébloui, eut quelque peine à retrouver son chemin. Le lendemain, il retourna à la chapelle. Il ne restait aucune trace de ce qu'il y avait vu pendant la nuit.


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