J'ai raconté ailleurs les mémorables exploits de la Bête d'Orléans, cousine germaine du sanglier des Ardennes, de la Tarasque de Tarascon et autres bêtes fantastiques, sans oublier celle du Gévaudan. Or voici qu'on me signale l'apparition de la Birette, aux environs de Montargis, où elle jette la terreur folle parmi les simples d'esprit, surtout parmi les vieilles gens qui se souviennent de la Bête d'Orléans... comme si c'était hier.
Qu'est-ce donc que la Birette? Une manière de revenant, bien entendu. Mais encore? On l'a vue sous la forme d'un ours ou d'un cerf; mais le plus souvent, elle revêt l'enveloppe d'un mousquetaire de la nuit, moustachu, couvert d'un manteau couleur de muraille et coiffé d'un feutre empanaché. Le fantôme alors s'en prend aux jeunes filles. Si, au contraire, c'est à des hommes qu'elle en veut, la Birette prend des allures d'une forte femme, long-voilée, avec des falbalas criards.
La Birette, comme de juste, choisit les coins sombres, les fossés profonds, les chemins déserts, les endroits écartés, elle ne s'écarte pas du programme. Là, tapie dans l'ombre, elle attend le passage des gens qu'elle veut effrayer et qui s'enfuient éperdus, croyant qu'ils ont le diable à leurs trousses: car, soudain, la Birette a surgi en jetant un cri pareil à celui de la chouette.
« Voilà, disent les Petites Affiches Montargeoises, voilà où nous en sommes dans les dernières années du XIXe siècle, en plein Gâtinais, dans le canton, de Montargis qui passe pour l'Attique du Loiret, une Attique où, on le voit, il reste encore pas mal de Béotiens. »
Surtout, n'essayez pas de persuader au fuyard qu'il est dupe d'un mauvais plaisant, d'un farceur de village : il vous soutiendra que c'est la Birette qui l'a poursuivi, qu'il en est bien sûr, ayant presque respiré son haleine puante, tandis que ses yeux dardaient sur lui deux charbons phosphorescents. Et ses pieds ne chaussaient pas de vulgaires godillots ?... Non, ils étaient armés de griffes menaçantes.
Toutefois, paraît-il, le métier de Birette n'est sans inconvénients, et il est arrivé que croyant s'attaquer à des poltrons maint escogriffe s'est trouvé en face de francs lurons, qui l'ont assailli à coups de trique, pour lesquels le fantôme n'a pas tardé à s'évanouir pour faire place à un être réel, mais dûment étrillé, penaud à faire plaisir, et guéri à tout jamais de l'envie de jouer à la Birette.
Quant à l'étymologie du mot, eux-mêmes les antiquaires gâtinois déclarent y perdre leur latin. M'est avis en tout cas, que la Birette fait triste figure à côté de la Bête d'Orléans; celle-ci du moins nous a laissé une précieuse légende.