Un serpent gigantesque, un véritable monstre, s'était établi autrefois dans cette caverne, dont il sortait de temps en temps pour faire une excursion sur la côte et s'emparer de tous les enfants qu'il trouvait sur son chemin; il les emportait dans son antre pour les dévorer, et quand il les avait digérés, il se mettait en quête d'une nouvelle proie. Ces excursions se renouvelaient à peu près toutes les semaines; la bête parcourait les hameaux et brisait au besoin les portes et les clôtures pour s'emparer d'une proie à sa fantaisie. Les habitants désespérés se décidèrent à faire sa part au monstre et chaque semaine on lui abandonnait un enfant désigné par le sort.
Tout le pays était dans la désolation. On s'était naturellement adressé à saint Georges, le destructeur de monstres, vénéré dans plusieurs paroisses du pays qui portent son nom, mais saint Georges était demeuré sourd.
Un matin, on venait d'amener un enfant au serpent, et l'on s'apprêtait à le lui abandonner, lorsque l'attention de tous fut attirée par un objet singulier. Sur la mer, qui était alors calme et unie, on voyait un homme se tenir debout, une crosse d'évêque à la main, une mitre sur la tête, et une grande chape sur le dos; il ne marchait pas, il semblait glisser à mesure qu'il approchait on s'aperçut qu'il était porté sur une rouelle de charrue. C'était saint Germain-la-Rouelle. La mer était haute, le saint aborda en face du Trou Baligan, et marcha droit au serpent. Celui-ci recula et fit un mouvement pour rentrer dans son antre où sa queue était restée comme celle de certains mollusques lorsqu'ils sortent à demi de leurs coquilles. Le saint lui barra le passage, et lui porta un coup de sa crosse; l'animal se tordit à ce contact, fit quelques mouvements convulsifs, puis resta immobile et s'incrusta dans un bloc de granit, où on a pu le voir jusqu'au commencement du XIXe siècle.
Après cet exploit saint Germain-la-Rouelle bénit la foule qui s'était rassemblée sur la falaise et se confondait en actions de grâce, puis il s'éloigna sur sa rouelle comme il était venu, sans vouloir faire un plus long séjour dans le pays.
Mais les habitants ne l'ont pas oublié. Plusieurs paroisses portent son nom : un plus grand nombre sont placées sous son invocation. A Flamanville entre autres, le jour de la Saint-Germain, les enfants sont conduits solennellement à l'église pour remercier le saint de la destruction du serpent et lui demander sa protection pour l'avenir.
Saint Germain est toujours représenté avec un animal à ses pieds. L'animal varie. C'est le plus souvent un petit quadrupède fantastique vomissant des flammes. On place la même bête aux pieds de saint Gire (saint Gilles).
Quelquefois, dit-on, on voit des enfants pleurer sans cause apparente et regarder dans certaine direction avec tous les signes de l'effroi. Les grandes personnes ne voient rien, mais on prétend que les enfants ainsi effrayés voient la bête saint Germain qui les menace. Pour faire cesser ces apparitions effrayantes, on se rend à l'église avec l'enfant, un prêtre lit sur sa tête l'évangile du jour, on lui fait baiser la bête et l'on assure qu'après cela la bête ne se manifeste plus.