L'abbaye de Gigny fut fondée au Xème siècle par le célèbre comte Bernon, qui, issu d'une des premières familles de Bourgogne, s'était fait moine pour se dérober au spectacle des crimes qui couvraient le monde.
Un évènement simple en apparence et cependant capital dans ses résultats, vint tout-à-coup donner une grande célébrité au monastère de Gigny. Sur le bruit d'une irruption de pirates, les religieux de l'abbaye de Saint-Taurin, d'Evreux, avaient transporté en Auvergne la châsse de leur patron. Les portes de l'église de Lezoux s'étaient ouvertes pour recevoir ce précieux dépôt. En 911, la paix ayant été rendue au duché de Normandie, Evreux se releva de ses désastres. Les moines de Saint-Taurin désiraient reconstruire leur abbaye; mais les ressources leur manquaient, et l'absence de leurs reliques les privaient de tout moyen de s'en procurer. Désespérant d'en obtenir la restitution volontaire, ils durent songer à les recouvrer par la ruse.
Trois d'entre eux, parmi les plus jeunes et les plus habiles, se chargèrent de cette périlleuse entreprise. Ils se présentèrent à Lezoux comme de simples étudiants étrangers. Admis bientôt dans le clergé de cette ville en qualité de clercs, ils surent capter la confiance générale, et le plus adroit parvint à se faire nommer gardien des trésors sacrés. Une certaine nuit, les trois normands ouvrent la châsse, y prennent le corps de saint Taurin, le chargent sur leurs épaules et sortent furtivement de Lezoux. Ils prennent des chemins détournés pour cacher les traces de leurs pas. Après avoir passé la Saône à la distance d'une journée de Lyon, ils se dirigèrent à travers la Bresse vers le comté de Bourgogne.
Arrivés dans la vallée du Suran, ils s'arrêtèrent à la porte d'une humble chaumière et y demandèrent l'hospitalité. Ayant repris leur course le lendemain, ils ne furent pas peu surpris, après avoir marché pendant tout le jour, de se retrouver le soir devant la maison qu'ils avaient quittée le matin. Le même phénomène se reproduisit les deux jours suivants. Ils ne doutèrent plus que saint Taurin marquait par un miracle le choix qu'il faisait de ce lieu pour le dépôt de ses reliques. Ils demandèrent à leur vieil hôte le nom du village qu'ils apercevaient à peu de distance. Ils apprirent que c'était Gigny, et qu'il y avait un moutier nouvellement construit que le célèbre comte Bernon dirigeait avec une grande sagesse. Ils se présentèrent à cet abbé et lui firent le récit de leur voyage. Bernon accueillit avec respect les reliques dont le Seigneur semblait le rendre dépositaire, et bientôt, convoquant tout le peuple de la contrée à une solennité religieuse, il en fit la pompeuse inauguration. L'abbaye de Gigny associa dès lors le nom de saint Taurin à celui de saint Pierre, son premier patron; elle devint le but de nombreux pèlerinages, et le village qui l'entourait prit de l'importance et un accroissement rapide.
La maisonnette du pauvre homme, où les reliques de saint Taurin s'obstinèrent trois fois à revenir, demeura longtemps intacte au milieu des incendies et des ruines du voisinage. Elle fut ensuite changée en une chapelle, sous le vocable de saint Taurin, et vendue en 1792 comme bien national. Quant aux reliques de saint Taurin, patron de Gigny, elles furent profanées en 1794 et clouées à l'arbre de la liberté. Des personnes pieuses parvinrent toutefois à en sauver quelques fragments.