Le château qui s'élevait sur cette montagne était jadis une forteresse imprenable. Le seigneur du lieu la citait avec orgueil comme une de celles contre lesquelles tous les efforts humains étaient venus se briser, semblables aux flots de la mer qui ne peuvent entamer le rocher de la rive. Non seulement le château était posé au sommet de la montagne; non-seulement des abîmes sans fond l'entouraient de toutes parts, mais encore ses murs étaient d'une solidité et d'une épaisseur qui paraissaient devoir traverser les siècles et braver les coups du temps. Aucun chemin visible ne conduisait à ce manoir, auquel un souterrain, connu seulement du propriétaire, donnait accès.
Cinq tours défendaient l'habitation intérieure, composée elle-même d'une sixième tour placée au milieu, plus forte, plus solide encore que ses compagnes, et dont les créneaux orgueilleux semblaient porter un arrogant défi au ciel comme aux hommes.
Il y a quatre cents ans environ, le châtelain donna asile à un de ses parents, propriétaire du château de Rothburg, qui avait été pris et saccagé par une bande de soldats venus de l'Allemagne. Ce n'est pas mon castel qui se laisserait prendre ainsi, fit le seigneur en frappant avec complaisance les murs de ses remparts.
– Dieu vous entende, mon cousin; mais je suis d'avis que vos remparts, pas plus que les miens, ne résisteraient à ce que j'ai vu et entendu.
– Et qu'avez-vous vu et entendu, s'il vous plaît?
– L'enfer se déchaînant tout entier contre ma demeure. Figurez-vous, mon cousin, que je voyais au loin une lueur semblable à celle de la foudre; puis j'entendais un bruit horrible; puis enfin je voyais tomber mes tours les unes après les autres, sans qu'il me fût possible de distinguer par quel moyen ce travail de destruction se faisait. Les ennemis se tenaient sur les collines environnantes; pas une flèche n'a pu leur être lancée, tandis qu'eux nous faisaient tomber morts ou horriblement mutilés d'une distance incroyable.
– Vous rêvez, cousin, se bornait à répondre, en ricanant, le châtelain incrédule.
– Je ne rêve malheureusement pas, et je dis que les châteaux ont fini leur règne. Autrefois on se battait corps à corps, on était brave, on voyait son ennemi, et la guerre avait quelque chose de grandiose; mais maintenant songez donc qu'on atteint un homme sans que celui-ci puisse seulement vous voir...
– Décidément, cousin, vous me prenez pour un fou.....
Au même instant, au milieu de l'azur du ciel, une espèce de coup de tonnerre se fit entendre et rebondit avec fracas dans les échos des montagnes.
– Tenez, les voici ! dit le cousin en pâlissant. C'est un coup de tonnerre, dit le châtelain d'un air calme.
– Comment! est-ce possible? le ciel est sans nuage et limpide comme un lac.
– Cela s'est vu, répondit le châtelain sans sourciller.
Quelques heures après, nos deux seigneurs, en observation sur la tour du milieu, virent les montagnes voisines se couvrir de soldats traînant après eux de longs tuyaux de fer.
Le châtelain se prit à rire à la vue de ces apprêts qui lui paraissaient ridicules à une pareille distance.
– Ils auront beau serrer les vis de leurs catapultes, leurs pierres ne parviendront jamais jusqu'ici, dit-il, en plaisantant avec ses archers.
Il avait à peine achevé ces mots, qu'un coup retentissant frappa de nouveau les airs et qu'en même temps deux de ses hommes tombèrent, la tête fracassée, à ses pieds.
– Je me suis trompé, dit le châtelain, leurs catapultes sont puissantes. Quant au bruit qu'ils font, c'est sans doute dans l'intention de nous effrayer. Allons prendre des mesures.
Il descendit vers les autres tours; mais, ô douleur! ô rage! des fragments de murs volaient en éclats sous l'atteinte meurtrière d'un ennemi invisible, et le feu prenait aux ouvrages de bois. Un vacarme horrible accompagnait chaque nouveau désastre, et le pauvre baron, qui ne voulait pas se rendre à l'évidence, et qui voyait ses remparts tomber sans qu'un seul soldat se présentât, réunit le peu d'archers qui lui restaient et se dirigea vers la grande tour.
– Au moins, dit-il avec assurance et en défiant de loin ses ennemis, là ils ne nous auront pas.
Mais, hélas! avant la fin du jour, ce dernier refuge céda comme les autres. Les murs croulaient sous une masse de projectiles dont quelques-uns étaient rougis au feu. Le malheureux baron, voyant son manoir tomber pièce à pièce, tous ses soldats morts et lui-même grièvement blessé, se traîna jusqu'aux bords des débris de sa haute tour, brisa son épée avec rage et la jeta vers ses barbares vainqueurs, puis se précipita, la tête en avant, dans le gouffre.
Ainsi fut détruit, dans le Luxembourg, au moyen de l'invention de la poudre, le premier château fort. Depuis lors, une des murailles de ce castel, vers sa partie inférieure, laisse continuellement couler par une fissure quelques gouttes d'une eau très-claire et d'un goût amer. Les habitants des environs prétendent que le château verse des larmes depuis le jour de sa défaite, et c'est cette croyance qui a fait appeler ce pan de mur encore debout, la muraille qui pleure.