La légende de la catastrophe de Semsâles [Semsales (La Veveyse / Switzerland)]

Publié le 6 mars 2025 Thématiques: Cimetière , Destruction , Enterrement , Fleuve | Ruisseau | RIvière , Impiété , Montagne , Mort , Orage , Prêtre | Curé , Punition , Ville ,

La Mortives... aménagée
La Mortives... aménagée. Source gex-dorthe
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Source: Genoud, J. / Légendes fribourgeoises (1892) (4 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Cimetière de Semsales / Semsales / La Veveyse / Suisse
Lieu: La Mortivue / Semsales / La Veveyse / Suisse

Ceux qui connaissent aujourd'hui la loyale, vaillante et religieuse population de Semsâles ne manqueront pas de hausser les épaules à la lecture de l'histoire suivante. Nous-même qui la racontons, nous n'y croyons qu'avec peine – réserve que nous ne faisons point pour les autres légendes. Il est vrai que les temps ont changé et les hommes aussi : et nos mutamur! Heureuse transformation, puisque nous sommes meilleurs que nos devanciers et que jamais notre fin de siècle ne serait assez coupable pour provoquer une tragédie semblable à celle que nous allons décrire.

Il y avait donc autrefois à Semsâles un prêtre poursuivi par les antipathies de la paroisse. Le prévôt du Grand-Saint-Bernard l'avait choisi et placé là contrairement aux vœux des fidèles. Aussi la lutte dura-t-elle jusqu'au dernier soupir de ce pauvre prieur. Vraiment il y avait entre lui et son troupeau incompatibilité d'humeur. Les années si longues qui s'écoulèrent ne firent qu'accentuer la division et perpétuer la lutte. En vain l'ecclésiastique jeûnait, priait et prêchait pour la conversion de ses ouailles son zèle n'était pas compris, ses plus louables intentions étaient critiquées, ses meilleures œuvres mal interprêtées. Lorsque survint une maladie qui devait promptement l'emporter, il ne remarqua autour de lui aucun signe de regret et de compassion. Plus ses douleurs augmentaient, plus les chants profanes de la jeunesse retentissaient bruyamment dans le village et jusque sous les fenêtres du presbytère. Quand l'agonie commença et que, selon la coutume de l'époque, la cloche dut inviter ceux qui se portent bien à prier pour le moribond, on entendit un joyeux carillon au lieu du glas funèbre. Le bon prêtre put-il s'en apercevoir ? Nous l'ignorons. Ce que nous savons, c'est que, à son heure suprême, il renouvela à Dieu le sacrifice de sa vie pour le salut de la paroisse ingrate.

Sans doute Dieu entendit cette prière, mais il frappa avant de sauver.

Voici le jour de la sépulture. C'est un vendredi de novembre de l'an 1292, si la chronique est exacte. Le ciel est sombre, la nature triste, la température froide, les cœurs plus froids encore. Tous les chrétiens de l'endroit devraient accourir à l'église pour participer à la lugubre cérémonie. Nul ne se dérange. Ils n'ont pas aimé le prêtre vivant, ils ne s'occuperont pas du prêtre défunt.

Pourtant l'airain sacré tremble et s'agite, mais nul ne veut comprendre ce mélancolique langage. Quelques curés du voisinage, aidés du sacristain, doivent donc seuls diriger les funérailles et conduire le trépassé à sa demeure dernière. Les messes terminées, le clergé part de la chapelle pour se rendre au cimetière. Derrière le corbillard, il n'y a qu'une seule personne, une vieille femme qui, à travers les misères de l'existence, a conservé la confiance envers Dieu et le respect envers ses ministres. Seule, au nom de la localité coupable, elle prie, elle pleure, elle redoute l'avenir.

Cependant, à mesure que se poursuivent les rites sacrés, un étrange phénomène s'accomplit. Des nuages noirs accourent du fond de l'horizon, ils recouvrent la montagne, ils la dérobent à tout regard, ils descendent plus bas, plus bas vers la plaine, toujours plus denses et plus impénétrables; les ténèbres augmentent, les oiseaux effrayés s'envolent au loin, les vaches dans les étables frissonnent et brâment, un lourd manteau de plomb semble s'appesantir sur la contrée, la nature troublée paraît s'associer au deuil du clergé et reprocher à toute une commune son manque de dévotion et de reconnaissance.

Soudain, à l'instant même où, le corps étant déposé dans la fosse, les prêtres entonnaient le De profundis: Du fond de l'abîme j'ai crié vers vous! soudain la catastrophe éclate.

Alors on entendit un bruit épouvantable,
La montagne mugit jusqu'en son fondement.
Avalanches, torrents, tempête, éclats de foudre !...
On eût dit le fracas d'un monde mis en poudre !

Voyez les nuages s'entrechoquent comme dans un duel suprême, le sol est violemment secoué, les monts sont agités jusqu'en leurs assises profondes, puis un ébranlement se produit, et une masse énorme, noire, grossissante à chaque pas, précipitant sa course, descend des hauteurs, renverse tout sur son passage et vient s'abîmer sur le hameau pour l'ensevelir au milieu des décombres.

O jour plein d'horreurs! Nulle clameur ne retentit seul un silence de mort répondit à ce coup de la vengeance divine. En une minute, chaque maison est devenue une tombe, chaque chambre est devenue un cercueil. Il y eut autant de victimes qu'il y avait d'imprudents renfermés dans les fragiles habitations humaines. Le village entier est comme transformé en cimetière, parce qu'on n'a pas voulu accompagner le bon prêtre au champ du repos! Quelques individus, travaillant dans les prairies, furent épargnés, mais en vain ils recherchèrent le domicile qu'ils avaient quitté le matin. L'humble femme seule que nous avons vue derrière le char lugubre ne souffrit ni dans sa personne ni dans ses biens, car elle retrouva intacte sa modeste cabane.

On cite plus d'une preuve de la réalité de cette catastrophe. Ainsi les rares survivants durent reconstruire sur un autre emplacement, afin d'être mieux garantis contre de telles calamités. Ainsi encore la montagne qui, en cette journée mémorable, était si enveloppée de sombres nuages, s'appela depuis lors la Noire Montagne, Niger Mons, Niremont. De même, à l'heure du fameux éboulement, une eau abondante s'échappa des entrailles de la terre, forma un ruisseau capricieux et fougueux, menaçant et dévastateur, connu aujourd'hui encore sous le nom de la Morte-eau, Mortua aqua, Mortigue, Martivue, nom de sinistre augure, car ce torrent, honteux de cette épithète, veut prouver qu'il n'est point mort les prairies voisines, la bourse de la commune et la caisse de l'Etat ne le savent que trop. Enfin, des salines, jadis richesse du pays, furent bouleversées et presque détruites. Seul le bétail réussit encore, dans les temps de sécheresse surtout, à découvrir le fameux Creux du sel où, disent les experts, l'herbe est plus salée et plus savoureuse. Quant aux habitants, ils n'ont conservé de cette fortune d'autrefois que le nom propre Semsâles, dont ils ont baptisé le nouveau village, en souvenir des sept sources salines (Septem Sales) qui avaient fait le bonheur des ancêtres.


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