Lorsque l'empereur Othon I eut rappelé Strasbourg au devoir dans la guerre de Lorraine, il marcha avec son armée devant Eberstein, parce que les comtes avaient dû être du parti de ses ennemis. Il assiégea la forteresse pendant deux ans et demi, mais ne put parvenir à s'en rendre maître, parce quelle était très forte et que les assiégés se défendaient vaillamment. Après ces tentatives infructueuses un chevalier lui conseilla de publier un tournoi à Spire auquel les comtes ne manqueraient pas d'assister si on leur promettait bonne escorte, et pendant le tournoi on pourrait surprendre la forteresse. Othon à qui ce conseil plut beaucoup, fit à cet effet organiser un tournoi où parurent les comtes d'Eberstein ainsi que bien d'autres princes, seigneurs, valeureux chevaliers et gentils hommes.
Après avoir employé au tournoi tout le temps de la journée, on procéda la nuit au banquet et à la danse. L'empereur y assistait en personne, et les comtes d'Eberstein s'y trouvaient aussi. L'un d'eux qui était encore jeune, eut l'honneur d'ouvrir la danse avec une dame de distinction. Après la danse cette belle dame s'approcha et lui dit secrètement à l'oreille, en présence de ses frères, qu'il devait se tenir sur ses gardes, ainsi que ses frères, car l'empereur avait imaginé cette ruse coutre eux pour faire attaques leur château et s'en rendre maître en leur absence, qu'ils devaient donc hâter de repartir la même nuit. Les trois frères prirent conseil entre eux et résolurent de s'en retourner au plus vite; mais ils revinrent prendre part à la dance et dirent que le lendemain leur intention était de se mesurer avec les chevaliers et les gentilshommes, de mettre à prix cent florins en or, dont ils voulaient faire présent aux dames d'honneur. Le lendemain matin ils retournèrent dans leur château, mais l'empereur et les chevaliers durent attendre longtemps avant de commencer le tournoi. Ayant appris que les comtes avaient été informés de ses intentions et qu'ils étaient partis, Othon donna ordre à des hommes courageux d'essayer s'ils ne pourraient s'emparer du château avant leur retour. Mais les comtes y étaient déjà et reçurent fort mal les assiégeants de l'empereur en leur lançant des pierres, et d'autres projectiles; enfin ils les repoussèrent. Après cela l'empereur pensa qu'il valait mieux être en bonne intelligence avec les comtes, et leur envoya, à cet effet, trois chevaliers, que l'intendant fut chargé de conduire a la cave et au grenier, de leur verser du vin blanc et du vin rouge, et de leur faire voir d'énormes monceaux de grain et une grande provision de farine. Les envoyés furent tellement surpris de les trouver si bien pourvus, qu'ils jugèrent qu'il n'était pas possible de s'en rendre maître. Mais les tonneaux avaient de doubles fonds, et sous le grain était de la paille. Lorsque les envoyés revinrent chez l'empereur, et qu'on leur eût demandé dans quel état la forteresse se trouvait, ils répondirent que c'etait en vain qu'on l'assiégerait plus longtemps, car il y avait encore assez de blé et de vin pour soutenir le siège pendant deux ans et demi. Là dessus on conseilla à l'empereur de donner sa sœur cadette en mariage au plus jeune de seigneurs d'Eberstein, nommé Eberhard, parce que ces comtes étaient des hommes vaillants et d'esprit, qui pourraient rendre de grands services à sa majesté dans des affaires importantes. Othon adopta ce conseil, donna en mariage sa sœur cadette au jeune seigneur, et fit célébrer en Saxe une noce magnifique.
