Au bas du vieux Château, un chemin mène à Rothenfels et à la vallée de la Mourg. Environ à une demi-lieue de la ville, à l'endroit où ce chemin se croise avec plusieurs autres, on voit un piédestal en pierre, nommé «Image de Keller», et non loin de là, dans la direction des ruines du château, une très ancienne croix gothique en pierre sur laquelle une inscription presque entièrement effacée, ne laisse qu'avec assez de peine déchiffrer le nom de Bourkard Keller. La légende raconte là-dessus ce qui suit:
Autrefois une margrave de Bade avait son domicile comme douairière dans le vieux château de Hohenbaden. Le chevalier qui faisait partie de la suite de la princesse, appartenant à la famille des barons de Keller, aimait la belle Claire de Tiefenau, dont le père habitait Kuppenheim en qualité de prévôt. Les relations entre le château et cette petite ville, qui était alors un lieu assez considérable, étaient très fréquentes, et Bourkard parcourait presque chaque jour cette distance de grand matin ou le soir fort tard.
Un jour que, par un beau clair de lune, il s'en retournait vers minuit, tout-à-coup, il lui sembla voir assise à quelques pas de lui, sous les arbres de la forêt, une figure de femme couverte d'un voile. Il marcha vers cette apparition, mais les formes de ses contours se dissipèrent en brouillard aussitôt qu'il voulut tendre sa main vers elle.
Il apprit du châtelain auquel il communiqua son aventure, qu'à l'endroit où il avait vu la figure, il existait anciennement un temple païen, que cette place était mal famée, et que personne des environs n'osait y passer pendant la nuit.
Le jeune homme fit fouiller le lendemain à l'endroit où la figure mystérieuse lui était apparue, et bientôt on trouva un petit autel romain qui était consacré aux nymphes du bois, et, un peu plus profond, une statue de femme en marbre, sur le visage de laquelle était répandu un charme étrange, qui fit sur Bourkard une impression ineffaçable. Cédant à cette impression, il se rendit de nouveau le lendemain à l'endroit où la belle statue de marbre avait été, par son ordre, placée sur l'autel. Reconnaissant déja de loin la figure qui lui était apparue la première fois, laquelle à son approche, ne se dissipa plus en brouillard, il s'empresse d'arriver, s'assied auprès d'elle au pied de l'autel, la prend dans ses bras et veut causer avec elle; à cette vue, son écuyer saisi de frayeur prit la fuite. Le lendemain matin on trouva le corps de Keller étendu à quelque distance de l'autel. La statue de marbre avait disparu.
Le frère de Keller fit démolir l'autel, et ériger à la place un piédestal surmonté du signe de la Rédemption, et sur le lieu où l'on trouva son corps, il fit placer une croix de pierre.