Dans les temps les plus reculés, la contrée autour de Frankenstein, le long de la Bergstrasse, était infestée par un monstre horrible qui avait élu son domicile dans la vallée du Modaubach couverte de roseaux et de broussailles. Ce monstre ayant la forme d'un serpent démesurément long, avait une grosse tête informe et un gosier à avaler un boeuf tout entier. La frayeur que la présence de ce reptile répandait parmi les habitants du pays, était d'autant plus grande que non seulement les troupeaux, mais aussi leurs gardiens en devenaient victimes. Il fallait presque tous les jours une victime humaine à cette horrible bête.
Quelques champions valeureux avaient vainement cherché à combattre ce dragon, ils payèrent de leur vie la témérité qui les y avait poussés. Bientôt il n'y eut plus personne qui ambitionnât un combat pareil. Aussi le découragement s'empara-t-il de tous les esprits; quiconque en avait les moyens quitta la contrée, comme si la peste s'y fut introduite.
Non loin de ce séjour de la terreur, toutefois au-delà d'Eberstadt, demeurait alors Georges de Falkenstein. Les ruines de son château situé sur les hauteurs lointaines et boisées se découvrent encore de la belle vallée du Rhin. Georges était chevalier aussi vaillant que guerrier célèbre; sa structure gigantesque et la force de son bras avaient toujours procuré la victoire à ses armes, de sorte que dans les tournois personne n'osait plus entrer en lice avec lui.
Georges entendit les cris de désespoir des pauvres habitants de la vallée de Modaubach, lesquels erraient sans asile; il fut touché de leur misère et résolut de combattre l’éffrayant reptile.
Monté sur un étalon dont les forces correspondaient aux siennes, armé du glaive et de la massue et tout cuirassé de fer, il entra dans le val abandonné, il découvrit bientôt au fond des prairies le serpent qui roulé en spirale réfléchit les rayons du soleil. Eveillé par le bruit du chevalier qui approchait, il se lève en sifflant, et s'élançant en bonds énormes sur sa proie désirée, il ouvre sa vaste gueule, comme pour avaler à la fois le cavalier et sa monture. Le cheval se cabre, mais le vaillant Georges attend son terrible ennemi, et lorsque celui-ci est près de lui, le chevalier échappe par un mouvement rapide aux dents sanguinaires du dragon, et profitant de son avantage, lui enfonce son glaive dans la nuque. Saisissant ensuite sa puissante massue, il en assène un coup si violent sur la tête du monstre s'élançant de nouveau sur lui et l'effleurant d'une de ses dents, que celui-ci en tombe étourdi par terre et est tué sans peine.
Les écuyers du chevalier ainsi qu'une foule de peuple attendaient avec angoisse l'issue de cette généreuse attaque. Lorsque le vainqueur, en signe de son heureuse réussite, fit retentir le cor de chasse, et que la foule accourue vit le reptile baigné dans son sang, il y eut une acclamation des plus bruyantes, et mille bouches reconnaissantes louèrent le courageux chevalier. Mais tout-à-coup une pâleur mortelle se répandit sur les traits du vainqueur, il tomba à la renverse et ne put dire que d'une voix mourante: „Je me sens mortellement blessé. de la dent vénimeuse du dragon." Les spectateurs épouvantés ouvrirent aussitôt la cuirasse du chevalier déjà dans l'angoisse de la mort, et on découvrit que le terrible venin s'était introduit par une légère égratignure à la hanche.
La joie universelle de cette victoire se changea aussitôt en une profonde tristesse; car le héros qui, pareil au célèbre St. Georges, était monté sur le dos du dragon, mourut peu d'instants après. Son souvenir s'est conservé cependant parmi les habitants reconnaissants de la contrée.
Dans le village de Nieder-Beerbach l'on voit, près de la porte de l'église, une pierre tumulaire qui représente, artistement sculptée la victoire du chevalier sur le dragon.