Yuseppou et l'âne du pont sur le Gave [Argelès-Gazost (Hautes-Pyrénées)]

Publié le 15 septembre 2023 Thématiques: Âne , Animal , De plus en plus lourd , Diable , Fête , Invocation , Mort , Nuit , Pont , Retour , Transformation , Transformation en animal ,

Vieux pont sur le Gave d'Azun
Père Igor, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons
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Source: Cordier, Eugène / Les légendes des Hautes-Pyrénées (1878) (2 minutes)
Lieu: Pont sur le Gave / Argelès-Gazost / Hautes-Pyrénées / France

Le fils d'une des plus riches maisons de Davantaïgue, splendide vallée dont l'usure a consommé la ruine, était doué d'une force extraordinaire, qui faisait l'admiration de ses robustes compatriotes. Enfant, il étouffait dans ses bras ces hercules qui vont, de contrée en contrée, portant un défi aux populations qu'ils traversent: homme fait, il eut inspiré la terreur, si l'on ne se fût rassuré en considérant la bonté de son naturel.

Le marché d'Argelès réunit, une fois la semaine, les habitants de toutes les vallées voisines des libations, des chants sonores, des conversations passionnées s'entremêlent et succèdent aux affaires : les heures s'écoulent. La nuit venue, les chemins sont obscurs; le retour est parfois difficile.

Yuseppou (c'est ainsi que je nommerai le héros ou plutôt la victime de ce récit) était allé, suivant sa coutume, au rendez-vous général de la contrée, et il y était encore que la soirée s'avançait beaucoup. Le temps était horrible; ses amis veulent le retenir: « Non, non, dit-il, je ne crains rien, et je pars, dussé-je renconter le diable. »

Quand il fut au pont du Gave, il vit un âne : « Camarade, dit-il plaisamment, tu vas me porter ou je te porterai chez moi. » Il monta d'abord, mais l'àne n'avançait point. « Puisqu'il en est ainsi, c'est donc à moi de te porter. » Il descend, le charge sur ses épaules et marche. Mais, chose étrange à chaque pas qu'il faisait, l'âne devenait plus lourd. Bientôt il pesa tant, que le vigoureux Yuseppou sent, pour la première fois, ses forces défaillir : il veut secouer son fardeau, mais inutilement; l'âne s'enlace à son cou, le presse, l'étouffe et l'entraîne malgré lui vers le Gave mugissant. Dans ce danger suprême, l'infortuné se ressouvint de Dieu, et faisant un signe de croix désespéré : « Si tu es Satan, dit-il, Satan! retire-toi ». A ces mots, l'animal disparut; un feu s'élança vers la crête des montagnes qui étincelèrent un moment, et Yuseppou regagna sa demeure, en proie à une terreur indicible.

Il avait une agitation fébrile extraordinaire et des mouvements convulsifs qu'on voulut calmer par de l'opium. Il resta vingt-quatre heures dans un état semblable à la mort. Depuis, et pendant sept années qu'il vécut encore, il eut sans cesse des alternatives de froid glacial et de chaleur insupportable, avec des crises d'une nature inconnue, dans lesquelles il succomba.

Il paraît qu'antérieurement à cet accident funeste, étant allé se confesser du même péché à plusieurs prêtres, en divers temps, l'un le remettait à trois jours, l'autre à huit, un troisième à un mois; enfin, sur l'observation qu'il en fit à un dernier confesseur, celui-ci lui dit imprudemment : « Eh bien, vous communierez demain.... » — Mais Yuseppou le regarda avec mépris, s'écriant qu'une religion qui a plusieurs poids et mesures, est une chose dérisoire. Il partit, à ces mots, et ne revint plus.


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