Au point où la végétation s’arrête, quand on a dépassé Passy – dont les pruneaux font échec à ceux de Tours en Touraine, – on arrive à une plaine relativement vaste, mais bouleversée, dénudée, et parsemée de blocs aux sinistres reflets. Plantureuse jusque-là, la végétation s’arréte brusquement à la lisière de cette thébaïde. Sur cet emplacement existait autrefois un très joli lac, le Lac-Vert, qu’entouraient de ravissantes pelouses et de romantiques bocages. Ses eaux, tranquilles et transparentes, étaient témoins des ébats des jeunes fées qui habitaient les bords fleuris de ce limpide joyau. Mais des esprits pervers avaient fixé leur domicile dans les cavernes de la montagne maudite, et passaient leur temps à épier les jeunes fées, inconscientes des dangers qui se pressaient sous leurs pas, et insouciantes des indiscrétions auxquelles elles étaient en butte.
Ces misérables esprits des cavernes, furieux de voir que toutes leurs avances étaient inutiles et que les fées luttaient avec avantage contre toutes les armes dont ils faisaient usage pour les séduire, avec le seul concours de leur innocence, résolurent de se venger, et voici comment ils s’y prirent.
Dirigeant le Nant-Noir dans le lac, ils inondèrent les pelouses et les bocages d’alentour, et donnèrent pour époux aux eaux limpides du lac les flots hideux de ces torrents ardoisiers. Ils firent mieux; ils ébranlèrent la montagne maudite qui s’abîma à son tour. Tout fut enseveli sous un amas de décombres, et ce lieu, jadis fortuné, devint ce qu’on le voit maintenant.
Voilà la légende, voici l’histoire.
C’était en 1751. La montagne s’éboula avec un fracas si épouvantable, et en produisant une poussière si épaisse, que bien des gens crurent la fin du monde arrivée. Cette poussière noire passa pour de la fumée aux yeux des spectateurs terrifiés. Et comme il n’est pas de fumée sans feu, on écrivit á Turin qu’un volcan terrible venait d’éclater au milieu de ces montagnes. Pour vérifier le fait, le roi envoya sur les lieux de célèbre naturaliste Vitaliano Donati. Ce savant essaya de dissiper l’erreur accréditée, en expliquant cet événement d’après les données de science. Rien n’y fit. Ce sont les gnômes qui se sont vengés des fées.
