Il est une époque de notre histoire, à peine éloignée de nous de quatre-vingts ans, qui est une véritable mine inépuisable de légendes. Cette époque a été l’occasion de tant de bénédictions d’une part, et de tant de malédictions de l’autre; les faits qui l’ont signalée sont plongés dans une telle obscurité que, ce qui s’est passé dans nos montagnes, pendant le temps de la Terreur, est plus légendaire que les événements accomplis par les chevaliers de la Table Ronde.

Megève est un bourg important où se fait un commerce considérable. On y voit, par les ruines qui sont parsemées dans la contrée, que le régime féodal y déployait toute la majesté de la chevalerie et toute l’horreur du vasselage. Mais la foi chrétienne ne le cède pas à la féodalité, et ses monuments, ses oratoires, ses chemins de croix y sont plus fréquents encore que les ruines de châteaux féodaux.

Sur le chemin du quartier d’en haut, près d’une fontaine, voici une croix qui rappelle un événement dont la tradition nous a conservé le souvenir. Dans ce temps sinistre où les ecclésiastiques étaient obligés de se cacher pour sauver leurs têtes, le curé de Megève se réfugiait dans une maison de ce hameau. Un misérable dénonça la cachette du prêtre, et celui-ci fut livré à l’exécuteur. Mais le dénonciateur ne porta pas loin le poids de son iniquité. Traversant le carrefour pour rentrer chez lui, il fut frappé par la vengeance céleste; il mourut subitement sur le seuil même de sa maison. Depuis ce jour, une eau rougeâtre (sans doute quelque peu ferrugineuse) a jailli sur le lieu même, et une croix y a été érigée pour apprendre aux passants ce qu’on gagne au métier de dénonciateur.